Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2, стр. 92

— Demain, fit-il gravement, vous demanderez a Madame Yolande de vous envoyer aupres de la reine Marie, sa fille, qui ne quitte guere Bourges.

Et vous y resterez !

— Vous voulez encore vous debarrassez de moi ! protesta Catherine tout de suite revoltee.

Ces simples mots eurent le don de mettre Arnaud en rage. Il empoigna Catherine par les epaules et se mit a la secouer comme il semblait en affectionner l'habitude.

— N'essayez pas de me faire croire que vous etes idiote ! Je veux que vous soyez a l'abri, et ici non seulement vous ne l'etes pas, mais vous etes en danger. Savez-vous ce que j'ai trouve sous l'escalier de votre maison ? Des brindilles de paille qui achevaient de se consumer et trois torches que l'on avait du jeter dedans. Il y a a Loches des gens qui vous veulent du mal et qui, ignorant que vous etiez sortie, ont tente de vous faire griller toute vive dans votre maison. Catherine, Catherine, vous avez, n'est-ce pas, renvoye a sa proprietaire la robe qu'elle vous avait pretee ?

— Aussitot !

Alors, ne cherchez pas ! Cette femme ne pardonne jamais la moindre blessure d'amour-propre. Si vous aviez accepte d'etre sa creature, elle eut utilise votre beaute, votre grace a son profit. Vous la rejetez et, immediatement, vous devenez une ennemie dangereuse. Vous etes bien plus belle qu'elle, et deja le roi vous a remarquee. Que vous preniez de l'empire sur Charles et l'influence de La Tremoille sera contrebalancee. Faites ce que je vous dis : allez vous enterrer momentanement parmi les pieuses femmes dont la reine Marie fait sa compagnie.

— C'est absurde ! protesta Catherine. Et puis, si je suis en danger... vous serez debarrasse de moi plus vite !

Elle s'attendait a une riposte acerbe, ironique, il n'en fut rien. Arnaud se contenta de hocher gravement la tete.

— Ne soyez pas idiote ! Je vais repartir. Ce soir, au conseil, Jehanne a obtenu que l'on ouvrirait la marche sur Reims en attaquant les villes de Meung, de Beaugency et de Jargeau ou s'est retranche l'Anglais. Ensuite, si l'on suit son conseil, on s'enfoncera en Champagne pour ouvrir a la pointe de l'epee la route du sacre au roi Charles. Je ne pourrai pas veiller sur vous.

Allez a Bourges.

Butee, elle baissait un front obstine, boudeur, et ne relevait pas les yeux vers lui.

— Au fond, vous n'etes pas logique, remarqua-t-elle. 11 y a un instant vous disiez que, si vous en aviez l'occasion, vous m'enverriez sans hesiter a la potence. Laissez-moi donc a mon destin. Pour ce que la vie m'interesse maintenant...

La petite felure de sa voix avait quelque chose de si tragique et de si pitoyable que, malgre lui, le capitaine s'emut. Elle s'etait assise sur le montoir a chevaux et, les mains nouees autour de ses genoux, regardait d'un air absent se consumer la maison qu'on lui avait donnee. D'un geste las, elle rejeta en arriere une longue meche blonde qui lui tombait dans la figure.

Tournant son regard vers Arnaud, elle essaya de sourire mais ne reussit qu'une petite grimace triste.

— Ne vous tourmentez plus pour moi, messire de Montsalvy. Je me rends compte que je vous obsede. Mais cela ne durera plus longtemps.

Elle n'avait pas fini de parler qu'il l'arrachait de son siege, l'enfermait etroitement entre ses bras et, d'une main, lui relevait doucement le menton.

— Je n'ai pas le droit de vous aimer, Catherine, parce que les ames des miens me maudiraient. Mais j'ai celui de vouloir que vous soyez en paix et en securite. Demain reprennent les combats. Je me battrai mieux si je suis tranquille pour vous. Dites-moi que vous irez a Bourges, dites-le-moi. J'ai besoin de le savoir.

Vaincue, elle accepta, d'un battement de ses paupieres, priant interieurement pour que durat toute une vie cet instant merveilleux qui la ramenait dans ses bras. Et, comme elle relevait les yeux vers lui et que les derniers feux de l'incendie faisaient briller ses levres humides, le jeune homme ne resista pas a l'envie brulante qui le devorait. Longuement, passionnement, il l'embrassa... Puis, la lachant aussi brusquement qu'il l'avait saisie, il s'enfuit a toutes jambes en direction de la ville basse...

Catherine, bouleversee, le sang en feu, esquissa un mouvement pour se jeter a sa poursuite mais, a cet instant precis, une exclamation satisfaite de Mme de Gaucourt lui apprit que Sara etait revenue a elle. Elle s'approcha de sa vieille amie pour l'embrasser puis, comme les valets avaient confectionne une civiere pour emporter la bohemienne, elle suivit docilement le petit cortege qui regagnait le chateau. Ses idees etaient aussi peu claires que possible. Comment concilier les paroles d'Arnaud, ce desir qu'il affichait d'etre debarrasse d'elle, et le baiser qu'il venait de lui donner ? Comment ne pas croire qu'il l'aimait autant qu'elle-meme le cherissait ? Comment surtout lui expliquer que jamais elle n'avait ete son ennemie, qu'elle avait tente l'impossible pour sauver Michel ? Chaque fois qu'elle avait voulu crever une bonne fois cet abces lourd de malentendu, il avait pris la fuite ou lui avait impose silence.

La reine Yolande ayant consenti sans difficulte a la ceder a la reine sa fille, Catherine etait partie pour Bourges, mais sans grand enthousiasme.

Elle n'avait aucune envie de se joindre aux « pieuses femmes dont la reine Marie fait sa compagnie ». Cependant elle eprouvait une joie, un peu negative mais certaine, a obeir a Arnaud. L'armee de Jehanne avait quitte Loches la veille au soir, se dirigeant vers Jargeau dont la Pucelle entendait deloger les Anglais. Longtemps, penchee a la fenetre de sa chambre, Catherine avait regarde s'eloigner les troupes et, surtout, cette avant-garde a laquelle appartenaient La Hire, Xaintrailles et Montsalvy ; le flamboiement des armures et des pennons multicolores s'etait eteint depuis de longues minutes dans la poussiere de juin qu'elle fatiguait encore ses yeux a chercher la forme d'un epervier d'argent au cimier d'un casque d'acier noir.

Bourges, qui de loin et a travers les fantaisies de son imagination lui faisait l'effet d'une sorte de ville-couvent terne et sans eclat, lui reservait une surprise : meme les fastueuses cites flamandes de Philippe le Bon ne parvenaient pas a surpasser l'eclat de la capitale du duche de Bercy devenue, par la force des choses, capitale de la France libre. Le duc Jean de Berry, grand-oncle du faible Charles VII, avait ete le premier et l'un des plus fastueux mecenes francais. Il avait fait de sa ville une ?uvre d'art difficilement egalable. Quand elle se trouva devant les portes imposantes de son immense palais, Catherine se dit que ni Bruges ni Dijon ne possedaient une demeure de cette splendeur. Au fond, le « roi de Bourges »

n'etait pas si a plaindre et il devait etre doux de regner sur cette belle cite avec la masse touffue de ses hotels luxueux presses autour de la fantastique dentelle de pierre de sa cathedrale.

Evidemment, Marie d'Anjou, reine de France, ne correspondait guere a la beaute de la ville, ni meme a l'idee que l'on pouvait se faire d'une fille de Yolande d'Aragon. Peu de beaute, un long visage sans grace aux yeux doux mais depourvus d'eclat, et peu d'intelligence, la reine de vingt-cinq ans semblait n'avoir ete creee et mise au monde que pour porter des enfants.

Elle s'acquittait, d'ailleurs, de cette tache avec conscience : quatre enfants etaient deja nes au palais de Bourges. L'un etait mort en naissant, mais un cinquieme s'annoncait.

La reine Marie accueillit Catherine avec amabilite et l'oublia tout aussitot. La jeune femme grossit seulement l'escadron des dames de parage.

Elle fut nantie d'une grande chambre au-dessus de la galerie du Cerf et commenca l'existence sans eclat qui etait de regle quand la reine etait seule a Bourges : messe matinale, visites charitables, lectures pieuses, , soins des enfants, plus, pour se distraire, quelques affaires du duche a mettre en ordre.