Belle Catherine, стр. 83

L'appel strident des trompettes, a quelques pas devant elle, fit sursauter Catherine. La muraille etait toute proche maintenant. L'ombre noire des hourds de bois engloutissait les cavaliers. Une silhouette de soldat s'erigea contre le ciel, prolongee d'une corne dont le mugissement emplit l'air. Puis, comme les premiers chevaux abordaient le plateau, le portail, lentement, s'ouvrit, lachant un flot de soleil roux.

Une vaste esplanade apparut, cernee de batiments divers : une chapelle, une sorte de grand logis aux fenetres lanceolees, une antique commanderie, des magasins d'armes, une forge, des ecuries, un vieux puits verdi de mousse, un enorme donjon dominant de haut les quatre grosses tours d'angle, enfin, etendant ses branches tordues et depouillees comme des serpents noirs, un grand fayard offrait ses fruits sinistres : les corps rigides de cinq pendus.

Catherine detourna les yeux en passant aupres de l'arbre. De partout accouraient des soldats, trainant leurs arbaletes, ajustant leurs chapeaux de fer, les yeux inquiets en reconnaissant les couleurs du maitre. Les cloches de la chapelle se mirent a sonner en meme temps que trois herauts, au seuil du logis, embouchaient de longues trompettes d'argent. Un vieil homme en armure apparut derriere eux, appuyant sur une canne sa marche difficile.

— Sire Jean de Cabanes, murmura Bernard d'Armagnac a l'adresse d'Arnaud. Il a encore vieilli. Tu vois qu'il etait temps de venir a sa rescousse.

En effet, l'immense cour donnait une impression de desordre et d'abandon. Les batiments etaient vetustes. Certains-menacaient ruine et, aux fenetres du logis seigneurial, bien des carreaux manquaient. Cadet Bernard envoya la fin de son sourire a Catherine et l'acheva sur une grimace.

— Je crains que vous ne soyez pas fort satisfaite de votre palais, belle Catherine ! Il est vrai que votre grace saura en faire un lieu de delices !

Le trait etait galant, mais Catherine songea que le plus beau sourire de la terre ne saurait remplacer les carreaux manquants, boucher les fissures des murailles ni endiguer les courants d'air. Le printemps, heureusement, venait, mais la chaleur n'etait pas encore la et l'?il perspicace de la jeune femme denombrait deja tout ce qu'il faudrait faire avant l'hiver pour que cette vieille batisse fut habitable pour des femmes et un enfant. Tandis qu'Arnaud et Bernard prenaient contact avec le vieux chef de la garnison, Isabelle de Montsalvy vint ranger sa mule contre le flanc de Morgane.

— J'ai peur que nous ne trouvions ici plus de rats que de tapisseries, fit-elle. Si l'exterieur ressemble a l'interieur...

Ses yeux se tournerent vers Sara qui portait Michel. L'enfant etait l'unique sujet de conversation qu'elle acceptat avec sa belle-fille et leur commun souci de son bien-etre les rapprochait un peu. En dehors du bebe, elles ne cherchaient a etablir aucun lien nouveau. Isabelle ne parvenait pas a oublier l'origine de Catherine et Catherine ne pardonnait pas a Isabelle son orgueil de caste. De plus, elle lui en voulait d'avoir retenu Marie de Comborn aupres d'elle alors qu'Arnaud souhaitait la renvoyer a son frere.

— Marie m'a tenu lieu de fille, durant les jours les plus noirs, avait-elle dit. Sa compagnie m'est bonne...

Le regard qui accompagnait cette declaration laissait sous-entendre qu'aucune autre compagnie ne pour rait remplacer celle-la et Arnaud, qui ouvrait deja la bouche pour rappeler a sa mere qu'elle avait en Catherine une fille toute trouvee, l'avait refermee sans rien dire. A quoi bon aviver les antagonismes ? A force de vivre ensemble, les deux femmes finiraient peut-etre par s'apprecier. Arnaud croyait au pouvoir lenifiant du temps et de l'habitude...

Malgre tout, Catherine eut volontiers accepte la cohabitation avec Isabelle, par respect pour son age et par tendresse pour son epoux, mais l'idee de vivre aupres de cette Marie de Comborn, toujours agressive, et dont elle sentait continuellement sur elle le regard surveillant, lui causait un malaise presque physique. Elle supportait de plus en plus mal la vue de la jeune fille et celle-ci, avec une clairvoyance maligne, s'en rendait parfaitement compte. Elle jouait mechamment de ce sentiment, prenant un malin plaisir a s'imposer et suivant Arnaud comme son ombre des qu'elle en avait la possibilite.

Quand les dames eurent franchi la porte, basse et sculptee, du logis seigneurial, Marie se glissa pres de Catherine dont les yeux desenchantes allaient des voutes noires de suie aux dalles cassees ou disjointes tachees de graisse et truffees de traces boueuses qui reportaient assez loin dans le temps le dernier lavage.

— Comment la noble dame trouve-t-elle son palais ? ronronna la jeune fille. Magnifique sans doute ! Apres la boutique puante d'un marchand, la pire taniere doit etre eblouissante.

— Cela vous plait ? repliqua la jeune femme avec un sourire angelique, feignant de prendre son ennemie au mot. Vous n'etes guere difficile. Il est vrai que, dans la tour ruinee de votre frere, vous n'avez pas eu l'occasion de voir grand-chose.

Ce logis est tout juste bon... pour un boucher ! C'est une taniere digne d'un Comborn.

— Vous vous trompez, siffla Marie en dardant sur la jeune femme le feu dangereux de son regard, ce n'est pas une taniere... c'est un tombeau !

Un tombeau ? Quelle imagination morbide !

— Il n'y a la aucune imagination, seulement une certitude que j'espere vous faire partager. Un tombeau, je repete...

votre tombeau ! Car, ma chere, vous n'en sortirez pas vivante !

Catherine sentit la colere l'envahir, mais se contint au prix d'un violent effort. Elle n’allait tout de meme pas donner a cette chipie le plaisir de voir qu'elle l'avait atteinte ? Un sourire sarcastique retroussa ses levres sur ses petites dents parfaites.

— Et, bien entendu, c'est vous qui me ferez passer de vie a trepas ? Vous n'etes pas un peu fatiguee des menaces, des grandes phrases tragiques ? Quel dommage que le destin vous ait fait naitre dans un chateau ! Sur les treteaux de la foire Saint-Laurent, a Paris, vous auriez un enorme succes.

Marie s'assura d'un coup d'?il circulaire que personne ne les ecoutait. Isabelle de Montsalvy et Sara se dirigeaient deja vers l'etage superieur, les hommes etaient ressortis dans la cour, elles etaient seules, apparemment, aupres de la rustique cheminee.

— Riez, grinca la jeune fille, riez, ma belle ! Vous ne rirez pas toujours ! Bientot vous ne serez plus qu'une charogne pourrissante au fond de quelque trou et moi je serai dans le lit de votre epoux.

— Le jour ou dame Catherine sera au fond d'un trou, fit une voix profonde qui semblait venir de la cheminee meme, le lit de messire Arnaud sera vide, car vous ne vivrez pas assez longtemps pour vous en approcher, Demoiselle !

Gauthier apparut, derriere le pilier de l'atre, les mains en avant, si formidable et menacant que Marie eut un mouvement de recul, vite reprime d'ailleurs. Sa petite tete se redressa et, la levre dedaigneuse, viperine, elle lanca :

— Ah ! le chien de garde ! Il est toujours dans vos jupons, bien entendu, toujours pret a voler a votre secours. Je me demande comment Arnaud supporte cela, puisque vous pretendez qu'il vous aime.

— Les sentiments de messire Arnaud ne sont pas en cause, ici, Demoiselle, coupa rudement le Normand. Depuis longtemps, je veille sur dame Catherine, et il le sait. Aussi, permettez qu'en chien de garde je parle : si vous touchez a Mme de Montsalvy, je vous tue, de ces mains-la !

Les enormes paumes du geant s'etalerent sous les yeux de Marie, assez impressionnantes pour que la jeune fille palit.

Mais l'orgueil vint a son secours, la haine aussi.

— Et... si j'allais dire a mon cousin que vous m'avez menacee ? Croyez-vous qu'il vous garderait ici encore longtemps?

— Aussi longtemps que je voudrai ! coupa Catherine en se glissant entre les deux adversaires. Retenez ceci et ne l'oubliez plus... ma chere ! Si Arnaud est votre cousin, il est mon epoux. Et il m'aime, vous entendez, il m'aime, dussiez-vous en crever de rage et de jalousie ! Entre vous et moi il n'hesitera jamais ! Dites ce que vous voulez, faites ce que vous voulez, mais soyez en garde, autant que j'y serai moi-meme. Nous verrons bien qui gagnera. Viens, Gauthier, allons rejoindre les autres !