Catherine des grands chemins, стр. 86

— Catherine, supplia-t-il... Revenez a moi !

Mais elle secoua la tete, lui sourit avec une sorte de tendresse.

— Non, Pierre... Oubliez-moi. C'est mieux ainsi...

Puis, comme si, malgre tout, elle craignait de se laisser attendrir, d'entendre encore cette voix qui avait su l'emouvoir si dangereusement, elle tourna les talons et descendit l'escalier en courant. Quand elle deboucha dans la cour, les chasseurs sonnant du cor a s'arracher la gorge passaient la voute en trombe. Elle vit le Roi au milieu d'eux et, aupres de lui, la mince silhouette de Bernard d'Armagnac qui riait. D'un seul coup, le vaste enclos fut grouillant d'une vie chaude, coloree. Quelques dames accoururent, d'autres s'accouderent aux fenetres, echangeant des plaisanteries avec les chasseurs. Des appels retentirent, des eclats de rire fuserent. Mais, cette fois, Catherine n'eut pas envie de se meler a eux. Arnaud l'avait reprise. Entre elle et ces gens, un fosse s'etait creuse, trop profond pour qu'elle put le franchir. Une seule main aurait pu la ramener dans ce monde dont, deja, elle se sentait detachee. Et cette main n'avait plus le droit, ni la possibilite de le faire. Mais, au fond, c'etait sans importance. Il lui fallait aller ou etait son destin et elle avait hate, maintenant, de retourner vers les siens.

Le lendemain matin, Catherine fit ses adieux au Roi, apres avoir obtenu, non sans peine, la permission de partir aupres de la reine Marie qui ne comprenait pas sa hate de quitter la cour.

— Vous venez seulement d'arriver, ma chere, lui dit- elle. Etes-vous deja lasse de nous ?

— Non, Madame... mais je languis de mon fils et je me dois a Montsalvy.

— Alors, allez. Mais revenez des que cela vous sera possible avec l'enfant. Vous demeurez de mes dames d'honneur et le Dauphin aura bientot besoin de pages.

Charles VII tint a peu pres le meme langage a la jeune femme, mais il ajouta :

— Les tres jolies femmes sont rares et voila que vous voulez partir

? Qu'a-t-elle de si attirant cette Auvergne que vous desirez tant la retrouver ?

— C'est un admirable pays, Sire, et vous l'aimeriez. Quant a ce qui m'attire la-bas, que Votre Majeste me pardonne de lui dire que ce sont d'abord mon fils et ensuite des ruines.

Un pli se forma sur le front du Roi, mais il s'effaca aussitot sous un sourire :

Et vous vous sentez une ame de batisseuse ? A merveille, dame Catherine ! J'aime qu'une femme allie la decision, l'energie a tant de beaute. Mais... que devient dans tout cela mon ami Pierre de Breze ?

Comptez-vous l'emmener avec vous ? Je vous previens que j'en ai grand besoin...

Catherine se raidit mais baissa les yeux pour tenter de derober l'emotion qui venait. Elle etait mal guerie encore du reve un instant caresse. Le nom de Pierre etait toujours un peu douloureux.

— Je ne l'emmene pas, Sire. Le seigneur de Breze s'est montre pour moi un fidele ami, un vrai chevalier. Mais il a sa vie comme j'ai la mienne. Le combat le rappelle et moi je dois relever ma maison.

Charles VII ne manquait pas de finesse. Au leger tremblement qui fit vibrer la voix de la jeune femme, il comprit qu'il s'etait passe quelque chose et, du coup, n'insista pas pour la retenir davantage.

— Le temps arrange bien des choses, belle dame... J'ai cru, un moment, que nous aurions avant peu une fete d'accordailles, mais, a ce qu'il parait, je me suis trompe. Pourtant, dame Catherine, voulez-vous permettre a votre roi de vous donner un conseil ? Ne precipitez rien... Ne brisez rien. Je vous l'ai dit, le temps fait changer les hommes et les femmes. Il ne faut pas qu'un jour vous ayez du regret.

Ce serait injuste.

Emue plus qu'elle ne voulait l'avouer par cette royale sollicitude, Catherine s'agenouilla pour baiser la main que lui tendait Charles.

Elle lui sourit vaillamment.

— Je n'aurai pas de regrets. Mais je sais un gre profond a Votre Majeste de sa bonte. Je ne l'oublierai pas.

Il lui rendit son sourire, avec cette timidite qu'il eprouvait toujours en face d'une femme trop belle.

— Il se peut qu'un jour prochain j'aille moi aussi en Auvergne..., fit-il d'un air songeur. Allez, maintenant, comtesse de Montsalvy.

Allez vers ce devoir que vous savez si bien accepter. Sachez seulement que votre roi vous regrettera, qu'il espere vous revoir un jour point trop eloigne... et que vous emportez son estime.

Ce fut lui qui se retira, laissant Catherine agenouillee au milieu de la grande salle ou, seuls, maintenant, veillaient les gardes immobiles.

Elle entendit decroitre son pas, et doucement se releva. Elle se sentait moins triste. Une sorte de fierte l'habitait, Charles lui avait parle non pas comme a une femme, mais comme a l'un de ses capitaines, comme il eut parle sans doute a Arnaud lui- meme.

Restait a dire adieu a la reine Yolande. Catherine se rendit chez elle aussitot, s'appretant a fournir, une troisieme fois, la meme explication.

Mais elle n'en eut pas besoin. La reine des Quatre Royaumes se contenta de l'embrasser.

— Vous faites bien, lui dit-elle. Je n'en attendais pas moins de vous. Le jeune Breze ne saurait vous convenir... justement parce qu'il est jeune.

— Si vous pensiez ainsi, Madame et ma Reine, pourquoi ne m'avoir rien dit ?

— Parce qu'il s'agissait de votre vie a vous, ma belle. Et que nul n'a le droit de diriger le destin des autres. Pas meme... que dis-je ? surtout pas une vieille reine. Retournez a votre Auvergne. Le travail ne manque pas car il nous faut recoudre maintenant ce beau royaume dechire. Nous aurons besoin dans les provinces de gens comme les Montsalvy. Ceux de votre race, ma chere, sont comme les montagnes de leur pays : on les use, on ne les detruit pas ! Pourtant... je ne veux pas vous perdre tout a fait.

D'un geste, Yolande appela aupres d'elle Anne de Bueil qui, comme de coutume, faisait de la broderie dans un coin.

— Donnez-moi ma cassette d'ivoire, ordonna la Reine.

Quand la jeune femme la lui eut apportee, elle y plongea ses longs doigts minces, en tira une admirable emeraude, gravee a ses armes, qu'elle glissa au doigt de Catherine confuse.

L'emir Saladin, jadis, a donne cette emeraude a l'un de mes ancetres qui l'avait sauve de la mort, sans d'ailleurs savoir qui il etait. Je l'ai fait graver... Gardez-la, Catherine, en souvenir de moi, de mon amitie et de la reconnaissance que je vous garde. Grace a vous, nous allons enfin gouverner, le Roi et moi.

Catherine referma une main tremblante sur le magnifique joyau. La, encore, elle s'agenouilla pour baiser la main de sa souveraine.

— Madame... Un pareil cadeau ! Comment dire...

— Ne dites rien. Vous etes comme moi : quand vous etes profondement emue, vous ne savez pas trouver de mots et c'est bien mieux ainsi. Cette bague vous portera bonheur et vous aidera peut-

etre. Tous ceux qui dependent de moi, en France, en Espagne, comme en Sicile, comme a Chypre ou a Jerusalem vous aideront au vu de ce bijou. C'est un peu une sauvegarde que je vous donne car j'ai le pressentiment que vous pourriez en avoir besoin. Et je tiens a vous revoir un jour, bien vivante.

L'audience etait terminee. Une derniere fois Catherine s'inclina.

— Adieu, Madame...

— Non, Catherine, sourit la Reine. Pas adieu, au revoir. Et que Dieu vous garde !

Si Catherine pensait en avoir termine avec les adieux, elle se trompait. Comme elle debouchait dans la grande cour pour se rendre a la Chancellerie ou l'on devait lui remettre les papiers de rehabilitation qu'elle n'avait pas encore fait chercher, elle tomba sur Bernard d'Armagnac qui faisait les cent pas, comme s'il attendait quelqu'un.

Elle ne l'avait pas revu depuis la scene du verger et la rencontre ne lui causait aucun plaisir. Elle essaya de passer en faisant mine de ne pas le voir, mais il se precipita vers elle.

— Je vous attendais, dit-il. On ne parle dans ce chateau que de votre depart et quand j'ai su que vous etiez chez la reine Yolande, j'ai pense que vous ne tarderiez pas a sortir. Vous n'etes pas femme a eterniser les adieux et elle non plus.