Catherine des grands chemins, стр. 44

— Je te previens, glissa-t-elle a voix basse dans l'oreille de Sara, je ne me battrai pas. Je ne sais meme pas ce que c'est. Jamais de ma vie je n'ai livre le moindre combat et je n'essayerai pas meme si...

Sara saisit sa main et la serra violemment.

— Tais-toi. Pour l'amour du ciel !

— Pourquoi me tairais-je ? A cause de ces femmes. Non, je vais leur dire, au contraire, je vais leur crier que...

— Tais-toi ! repeta Sara, mais si imperieusement que la jeune femme obeit malgre elle. Comprends donc que tu risques ta vie... si elles comprenaient que tu refuses de te battre.

— Et demain, gemit Catherine, est-ce que je ne vais pas la risquer

? Tu le sais bien, toi, que je ne suis pas capable de faire ce qu'on exige de moi. Elle va me tuer, j'en suis sure.

— Je le sais aussi, mais, pour l'amour de Dieu, calme-toi ! Quand les autres dormiront je me glisserai hors du camp et je courrai jusqu'a l'auberge prevenir messire Tristan. Il saura bien, lui, te sortir de ce mauvais pas. Mais, je t'en conjure, ne montre pas que tu as peur.

Mes freres ne pardonnent pas la lachete. Tu serais chassee a coups de fouet, condamnee a mourir de faim.

Les yeux de Catherine s'agrandirent d'horreur. Elle avait l'impression qu'un piege terrible s'etait referme sur elle et qu'avec ses seules forces elle ne parviendrait jamais a s'en delivrer. Sara sentit sa terreur et la serra contre elle.

— Du courage, mon petit. Maitre Tristan et moi nous allons te sortir de la.

— Il serait temps qu'il se montre, celui-la, fit Catherine avec rancune, lui qui devait veiller sur moi de si pres.

— Il ne devait intervenir qu'en cas de danger, souviens-toi...

Elle regarda autour d'elle. Les deux vieilles dormaient. Seule Tereina veillait, assise pres de la lampe a huile, enveloppee dans sa couverture rouge ; elle fixait la flamme avec les yeux egares d'une somnambule et ne bougeait pas plus qu'une souche.

— C'est le moment, souffla encore Sara. J'y vais.

Elle se coula au-dehors sans faire plus de bruit qu'une couleuvre, et Catherine, le c?ur lourd mais confiante en sa vieille amie, alla s'etendre pour essayer de dormir un peu. Mais le sommeil la fuyait. Ses yeux restaient grands ouverts sur les taches du feutre crasseux du chariot tandis qu'elle tentait de calmer les battements desordonnes de son c?ur... Le silence l'ecrasait et, n'y tenant plus, elle appela doucement:

— Tereina ?

La petite tzigane tourna la tete lentement vers elle puis se coula a son cote.

— Que veux-tu, ma s?ur ?

— J'ai besoin de savoir. Dunicha, ma rivale, a-t-elle l'habitude de ce genre de combat ? Avec quoi devons- nous nous battre ?

— Au couteau. Et, malheureusement, ce n'est pas la premiere fois pour Dunicha. On dirait un chat-tigre quand elle se bat. Deux femmes qui plaisaient a Fero sont deja tombees sous ses coups.

Cette revelation fit couler un desagreable filet glace le long du dos de Catherine, furieuse de s'etre jetee dans cette impasse. Si Tristan n'intervenait pas, elle serait proprement egorgee par la Tzigane sans que personne fit un geste pour la defendre. Fero lui-meme, qui cependant paraissait si eperdument amoureux, n'avait pas leve le petit doigt pour interdire cette folie. Il s'etait plie, respectueusement, a la loi des siens. Et, sans doute, songeait Catherine avec un sentiment de revolte, il se consolerait le soir meme, avec la victorieuse Dunicha, de la mort de la malheureuse Tchalai.

— Tout ce que je pourrai faire pour toi, continua Tereina d'un ton desole, ce sera te donner une drogue qui decuplera ton courage et ta force. Maintenant, il faut te reposer.

Catherine, dans l'ombre, fit la grimace. Elle etait un peu degoutee de la pharmacopee tzigane et, de plus, n'avait pas la moindre envie de dormir. La seule chose qu'elle eut envie de faire, c'etait fuir, fuir au plus vite, fuir a toutes jambes ces gens sanguinaires auxquels elle s'etait si imprudemment melee. Elle s'etait enfoncee jusqu'au cou dans un panier de viperes et ne savait plus comment en sortir. Elle etouffait dans ce chariot et la respiration reguliere des femmes qui dormaient lui donnait envie de hurler.

Elle songea alors que sa vie etait trop precieuse aux conjures d'Angers, donc a Tristan l'Hermite, pour que ce dernier la laissat egorger si betement.

Malgre les pensees rassurantes qu'elle s'efforcait de cultiver, Catherine ne ferma pas l'?il de la nuit. La gorge seche, les tempes bourdonnantes, elle entendit passer chacune des heures de la nuit scandees par les cris des veilleurs sur les tours du chateau. Elle avait beau savoir que Sara s'occupait d'elle, son absence lui etait penible.

Elle se sentait affreusement seule et ne parvenait pas a se defaire de ce sentiment d'absurdite. Le lever du jour n'allegea pas son angoisse.

Pourquoi Sara ne revenait-elle pas ? Qu'est-ce qui pouvait la retenir aussi longtemps aupres de Tristan ? Avait-elle ete surprise quittant le camp ou y rentrant ?

Quand un coq chanta quelque part dans la campagne, Catherine n'y tint plus. Les autres dormaient profondement. Elle se glissa vers l'ouverture du chariot, mais, juste a cet instant, Sara reparut.

Un enorme soupir degonfla la poitrine oppressee de la jeune femme.

— Enfin, chuchota-t-elle. Je n'ai pas pu dormir tant je suis angoissee.

— Je me doutais que tu te tourmenterais ; c'est pourquoi je suis revenue, mais il faut que je reparte.

— Pourquoi ?

— Parce que Tristan a disparu.

Catherine accusa le coup. Elle dut, un instant, chercher sa respiration et sa voix n'etait plus qu'un souffle quand elle demanda :

— Disparu ? Mais quand ? Comment ?

— Il y a deux jours. Il a quitte son auberge et n'est pas revenu. J'ai visite deja une partie de la ville dans l'espoir d'apprendre quelque chose. Il faut que je le trouve avant le coucher du soleil.

— Et, dit Catherine d'une voix blanche, si tu ne le trouves pas ?

— J'aime mieux ne pas y penser. Il faudrait, peut- etre, avouer ta veritable identite, mais ce serait jouer ta vie, en meme temps que celle de Fero, coupable d'avoir introduit une etrangere, une gadjii, dans la tribu.

— Que m'importe Fero ! Je ne veux pas mourir pour lui. Ne serait-il pas plus simple de dire a Dunicha que je n'ai aucune envie de lui disputer la place et que je renonce bien volontiers a Fero ?

— Tu offenserais mortellement le chef qui ne peut se permettre d'etre dedaigne. Ton sort n'aurait rien d'enviable car tu ne vivrais pas longtemps pour t'en souvenir. Et puis, les autres ne comprendraient pas. Tu serais accusee de lachete. Ce serait le fouet... et la suite.

Un cri de colere echappa a Catherine. De quelque cote qu'elle se tournat elle trouvait des murailles. Tout la renvoyait a cette mort dont elle ne voulait plus. Elle avait oublie que, si peu de temps auparavant, elle desirait mourir. Maintenant, elle voulait vivre, de toutes ses forces, de toute l'ardeur de sa jeunesse. Cette vie lui devenait precieuse puisqu'on voulait la lui arracher.

— Laisse-moi partir, priait Sara, il faut a tout prix que je retrouve Tristan. Sois tranquille, je serai la si...

Elle n'ajouta rien. Effleurant des levres le front de Catherine, Sara disparut de nouveau dans les brumes du petit matin, laissant la jeune femme le c?ur plus lourd que jamais. Elle eut un elan pour se glisser a la suite de sa vieille amie, mais, au prix d'un effort de volonte, se retint. Si elle fuyait, tout son plan serait compromis, il faudrait revenir a Angers en avouant qu'elle avait echoue si pres du but. Au surplus, en acceptant ce role, elle n'ignorait pas qu'il lui faudrait risquer sa vie plus d'une fois... Il fallait donc admettre que le temps etait venu de la risquer pour la premiere fois. Un sursaut d'orgueil remit Catherine d'aplomb. S'il fallait affronter Dunicha le couteau a la main, elle le ferait malgre tout, envers et contre toute chance parce que cela ne lui ressemblait pas de reculer. Elle eut meme honte de cette peur abjecte qui, un instant, l'avait mordue au ventre. Ce qu'il fallait eviter a tout prix, c'etait de penser a son petit Michel, pour que le c?ur ne vint pas a lui manquer a l'idee de ne plus jamais le revoir. Mais elle penserait a son epoux bien-aime, a Arnaud pour lequel il fallait que La Tremoille cessat d'etre, afin que la mort perdit au moins pour lui ce gout de cendres ameres.