Trois Contes, стр. 7

Puis des annees s'ecoulerent, toutes pareilles et sans autres episodes que le retour des grandes fetes: Paques, l'Assomption, la Toussaint. Des evenements interieurs faisaient une date, ou l'on se reportait plus tard. Ainsi, en 1825, deux vitriers badigeonnerent le vestibule; en 1827, une portion du toit, tombant dans la cour, faillit tuer un homme. L'ete de 1828, ce fut a Madame d'offrir le pain benit; Bourais, vers cette epoque, s'absenta mysterieusement; et les anciennes connaissances peu a peu s'en allerent: Guyot, Liebard, Mme Lechaptois, Robelin, l'oncle Gremanville, paralyse depuis longtemps.

Une nuit, le conducteur de la malle-poste annonca dans Pont-l'Eveque la Revolution de Juillet. Un sous-prefet nouveau, peu de jours apres, fut nomme: le baron de Larsonniere, ex-consul en Amerique, et qui avait chez lui, outre sa femme, sa belle-s?ur avec trois «demoiselles», assez grandes deja. On les apercevait sur leur gazon, habillees de blouses flottantes; elles possedaient un negre et un perroquet. Mme Aubain eut leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin qu'elles paraissaient, Felicite accourait pour la prevenir. Mais une chose etait seule capable de l'emouvoir, les lettres de son fils.

Il ne pouvait suivre aucune carriere, etant absorbe dans les estaminets. Elle lui payait ses dettes; il en refaisait d'autres; et les soupirs que poussait Mme Aubain, en tricotant pres de la fenetre, arrivaient a Felicite, qui tournait son rouet dans la cuisine.

Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier et causaient toujours de Virginie, se demandant si telle chose lui aurait plu, en telle occasion ce qu'elle eut dit probablement.

Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la chambre a deux lits. Mme Aubain les inspectait le moins souvent possible. Un jour d'ete, elle se resigna; et des papillons s'envolerent de l'armoire.

Ses robes etaient en ligne sous une planche ou il y avait trois poupees, des cerceaux, un menage, la cuvette qui lui servait. Elles retirerent egalement les jupons, les bas, les mouchoirs, et les etendirent sur les deux couches, avant de les replier. Le soleil eclairait ces pauvres objets, en faisait voir les taches, et des plis formes par les mouvements du corps. L'air etait chaud et bleu, un merle gazouillait, tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles retrouverent un petit chapeau de peluche, a longs poils, couleur marron; mais il etait tout mange de vermine. Felicite le reclama pour elle-meme. Leurs yeux se fixerent l'une sur l'autre, s'emplirent de larmes; enfin la maitresse ouvrit ses bras, la servante s'y jeta; et elles s'etreignirent, satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les egalisait.

C'etait la premiere fois de leur vie, Mme Aubain n'etant pas d'une nature expansive. Felicite lui en fut reconnaissante comme d'un bienfait, et desormais la cherit avec un devouement bestial et une veneration religieuse.

La bonte de son c?ur se developpa.

Quand elle entendait dans la rue les tambours d'un regiment en marche, elle se mettait devant la porte avec une cruche de cidre, et offrait a boire aux soldats. Elle soigna des choleriques. Elle protegeait les Polonais; et meme il y en eut un qui declarait la vouloir epouser. Mais ils se facherent; car un matin, en rentrant de l'angelus, elle le trouva dans sa cuisine, ou il s'etait introduit, et accommode une vinaigrette qu'il mangeait tranquillement.

Apres les Polonais, ce fut le pere Colmiche, un vieillard passant pour avoir fait des horreurs en 93. Il vivait au bord de la riviere, dans les decombres d'une porcherie. Les gamins le regardaient par les fentes du mur, et lui jetaient des cailloux qui tombaient sur son grabat, ou il gisait, continuellement secoue par un catarrhe, avec des cheveux tres longs, les paupieres enflammees, et au bras une tumeur plus grosse que sa tete. Elle lui procura du linge, tacha de nettoyer son bouge, revait a l'etablir dans le fournil, sans qu'il genat Madame. Quand le cancer eut creve, elle le pansa tous les jours, quelquefois lui apportait de la galette, le placait au soleil sur une botte de paille; et le pauvre vieux, en bavant et en tremblant, la remerciait de sa voix eteinte, craignait de la perdre, allongeait les mains des qu'il la voyait s'eloigner. Il mourut; elle fit dire une messe pour le repos de son ame.

Ce jour-la, il lui advint un grand bonheur: au moment du diner, le negre de Mme de Larsonniere se presenta, tenant le perroquet dans sa cage, avec le baton, la chaine et le cadenas. Un billet de la baronne annoncait a Mme Aubain que, son mari etant eleve a une prefecture, ils partaient le soir; et elle la priait d'accepter cet oiseau, comme un souvenir, et en temoignage de ses respects.

Il occupait depuis longtemps l'imagination de Felicite, car il venait d'Amerique; et ce mot lui rappelait Victor, si bien qu'elle s'en informait aupres du negre. Une fois meme elle avait dit: «C'est Madame qui serait heureuse de l'avoir!»

Le negre avait redit le propos a sa maitresse, qui, ne pouvant l'emmener, s'en debarrassait de cette facon.

IV

Il s'appelait Loulou. Son corps etait vert, le bout de ses ailes rose, son front bleu, et sa gorge doree.

Mais il avait la fatigante manie de mordre son baton, s'arrachait les plumes, eparpillait ses ordures, repandait l'eau de sa baignoire; Mme Aubain, qu'il ennuyait, le donna pour toujours a Felicite.

Elle entreprit de l'instruire; bientot il repeta «Charmant garcon! Serviteur, monsieur! Je vous salue, Marie!» Il etait place aupres de la porte, dans l'angle du perron; et plusieurs s'etonnaient qu'il ne repondit pas au nom de Jacquot, puisque tous les perroquets s'appellent Jacquot. On le comparait a une dinde, a une buche! autant de coups de poignard pour Felicite! etrange obstination de Loulou, ne parlant plus du moment qu'on le regardait!

Neanmoins il cherchait la compagnie; car le dimanche, pendant que ces demoiselles Rochefeuille, monsieur de Houppeville et de nouveaux habitues: Onfroy l'apothicaire, monsieur Varin et le capitaine Mathieu, faisaient leur partie de cartes, il cognait les vitres avec ses ailes, et se demenait si furieusement qu'il etait impossible de s'entendre.

La figure de Bourais, sans doute, lui paraissait tres drole. Des qu'il l'apercevait, il commencait a rire, a rire de toutes ses forces. Les eclats de sa voix bondissaient dans la cour, l'echo les repetait, les voisins se mettaient a leurs fenetres, riaient aussi; et, pour n'etre pas vu du perroquet, M. Bourais se coulait le long du mur, en dissimulant son profil avec son chapeau, atteignait la riviere, puis entrait par la porte du jardin; et les regards qu'il envoyait a l'oiseau manquaient de tendresse.

Loulou avait recu du garcon boucher une chiquenaude, s'etant permis d'enfoncer la tete dans sa corbeille; et depuis lors il tachait toujours de le pincer a travers sa chemise. Fabu menacait de lui tordre le cou, bien qu'il ne fut pas cruel, malgre le tatouage de ses bras et ses gros favoris. Au contraire! il avait plutot du penchant pour le perroquet, jusqu'a vouloir, par humeur joviale, lui apprendre des jurons. Felicite, que ces manieres effrayaient, le placa dans la cuisine. Sa chainette fut retiree, et il circulait par la maison.