Trois Contes, стр. 10

Felicite de temps a autre parlait a des ombres. Les bonnes femmes s'eloignerent. La Simonne dejeuna.

Un peu plus tard, elle prit Loulou, et, l'approchant de Felicite:

«Allons! dites-lui adieu!»

Bien qu'il ne fut pas un cadavre, les vers le devoraient; une de ses ailes etait cassee, l'etoupe lui sortait du ventre. Mais, aveugle a present, elle le baisa au front, et le gardait contre sa joue. La Simonne le reprit, pour le mettre sur le reposoir.

V

Les herbages envoyaient l'odeur de l'ete; des mouches bourdonnaient; le soleil faisait luire la riviere, chauffait les ardoises. La mere Simon, revenue dans la chambre, s'endormait doucement.

Des coups de cloche la reveillerent; on sortait des vepres. Le delire de Felicite tomba. En songeant a la procession, elle la voyait, comme si elle l'eut suivie.

Tous les enfants des ecoles, les chantres et les pompiers marchaient sur les trottoirs, tandis qu'au milieu de la rue, s'avancaient premierement: le suisse arme de sa hallebarde, le bedeau avec une grande croix, l'instituteur surveillant les gamins, la religieuse inquiete de ses petites filles; trois des plus mignonnes, frisees comme des anges, jetaient dans l'air des petales de roses; le diacre, les bras ecartes, moderait la musique; et deux encenseurs se retournaient a chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le cure, dans sa belle chasuble. Un flot de monde se poussait derriere, entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons; et l'on arriva au bas de la cote.

Une sueur froide mouillait les tempes de Felicite. La Simonne l'epongeait avec un linge, en se disant qu'un jour il lui faudrait passer par la.

Le murmure de la foule grossit, fut un moment tres fort, s'eloignait.

Une fusillade ebranla les carreaux. C'etait les postillons saluant l'ostensoir. Felicite roula ses prunelles, et elle dit, le moins bas qu'elle put:

«Est-il bien?» tourmentee du perroquet.

Son agonie commenca. Un rale, de plus en plus precipite, lui soulevait les cotes. Des bouillons d'ecume venaient aux coins de sa bouche, et tout son corps tremblait.

Bientot, on distingua le ronflement des ophicleides, les voix claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur du gazon.

Le clerge parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise pour atteindre a l'?il-de-b?uf, et de cette maniere dominait le reposoir.

Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orne d'un falbala en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d'argent et des vases en porcelaine, d'ou s'elancaient des tournesols, des lis, des pivoines, des digitales, des touffes d'hortensias. Ce monceau de couleurs eclatantes descendait obliquement, du premier etage jusqu'au tapis se prolongeant sur les paves; et des choses rares tiraient les yeux. Un sucrier de vermeil avait une couronne de violettes, des pendeloques en pierres d'Alencon brillaient sur de la mousse, deux ecrans chinois montraient leurs paysages. Loulou, cache sous des roses, ne laissait voir que son front bleu, pareil a une plaque de lapis.

Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangerent sur les trois cotes de la cour. Le pretre gravit lentement les marches et posa sur la dentelle son grand soleil d'or qui rayonnait. Tous s'agenouillerent. Il se fit un grand silence. Et les encensoirs, allant a pleine volee, glissaient sur leurs chainettes.

Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Felicite. Elle avanca les narines, en la humant avec une sensualite mystique; puis ferma les paupieres. Ses levres souriaient. Les mouvements de son c?ur se ralentirent un a un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'epuise, comme un echo disparait; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tete.

LA LEGENDE DE SAINT JULIEN L'HOSPITALIER

I

Le pere et la mere de Julien habitaient un chateau, au milieu des bois, sur la pente d'une colline.

Les quatre tours aux angles avaient des toits pointus recouverts d'ecailles de plomb, et la base des murs s'appuyait sur les quartiers de rocs, qui devalaient abruptement jusqu'au fond des douves.

Les paves de la cour etaient nets comme le dallage d'une eglise. De longues gouttieres, figurant des dragons la gueule en bas, crachaient l'eau des pluies vers la citerne; et sur le bord des fenetres, a tous les etages, dans un pot d'argile peinte, un basilic ou un heliotrope s'epanouissait.

Une seconde enceinte, faite de pieux, comprenait d'abord un verger d'arbres a fruits, ensuite un parterre ou des combinaisons de fleurs dessinaient des chiffres, puis une treille avec des berceaux pour prendre le frais, et un jeu de mail qui servait au divertissement des pages. De l'autre cote se trouvaient le chenil, les ecuries, la boulangerie, le pressoir et les granges. Un paturage de gazon vert se developpait tout autour, enclos lui-meme d'une forte haie d'epines.

On vivait en paix depuis si longtemps que la herse ne s'abaissait plus; les fosses etaient pleins d'eau; des hirondelles faisaient leur nid dans la fente des creneaux, et l'archer qui tout le long du jour se promenait sur la courtine, des que le soleil brillait trop fort rentrait dans l'echauguette, et s'endormait comme un moine.

A l'interieur, les ferrures partout reluisaient; des tapisseries dans les chambres protegeaient du froid; et les armoires regorgeaient de linge, les tonnes de vin s'empilaient dans les celliers, les coffres de chene craquaient sous le poids des sacs d'argent.

On voyait dans la salle d'armes, entre des etendards et des mufles de betes fauves, des armes de tous les temps et de toutes les nations, depuis les frondes des Amalecites et les javelots des Garamantes jusqu'aux braquemarts des Sarrasins et aux cottes de mailles des Normands.

La maitresse broche de la cuisine pouvait faire tourner un b?uf; la chapelle etait somptueuse comme l'oratoire d'un roi. Il y avait meme, dans un endroit ecarte, une etuve a la romaine; mais le bon seigneur s'en privait, estimant que c'est un usage des idolatres.

Toujours enveloppe d'une pelisse de renard, il se promenait dans sa maison, rendait la justice a ses vassaux, apaisait les querelles de ses voisins. Pendant l'hiver, il regardait les flocons de neige tomber, ou se faisait lire des histoires. Des les premiers beaux jours, il s'en allait sur sa mule le long des petits chemins, au bord des bles qui verdoyaient, et causait avec les manants, auxquels il donnait des conseils. Apres beaucoup d'aventures, il avait pris pour femme une demoiselle de haut lignage.

Elle etait tres blanche, un peu fiere et serieuse. Les cornes de son hennin frolaient le linteau des portes; la queue de sa robe de drap trainait de trois pas derriere elle. Son domestique etait regle comme l'interieur d'un monastere; chaque matin elle distribuait la besogne a ses servantes, surveillait les confitures et les onguents, filait a la quenouille ou brodait des nappes d'autel. A force de prier Dieu, il lui vint un fils.