Contes Merveilleux Tome II, стр. 35

«Ne t’inquiete pas», repondit-elle, «c’est un reve que j’ai fait.»

«Qu’as-tu reve encore?» demanda-t-il.

«J’ai reve que dans un pays il y a un arbre qui portait toujours des pommes d’or, et qui n’a plus meme de feuilles: quelle en pourrait etre la cause?»

«Ah, Si on le savait!» repliqua le diable, «il y a une souris qui ronge la racine; on n’aurait qu’a la tuer, il reviendrait des pommes d’or sur l’arbre; mais si elle continue a le ronger, l’arbre mourra tout a fait. Maintenant laisse-moi en repos avec tes reves. Si tu me reveilles encore, je te donnerai un soufflet.»

L’hotesse l’apaisa et se remit a lui chercher ses poux jusqu’a ce qu’il fut rendormi et ronfla. Alors elle saisit le troisieme cheveu d’or et l’arracha. Le diable se leva en criant et voulait la battre; elle le radoucit encore en disant: «Qui peut se garder d’un mauvais reve?»

«Qu’as-tu donc reve encore?» demanda-t-il avec curiosite.

«J’ai reve d’un passeur qui se plaignait de toujours passer l’eau avec sa barque, sans que personne le remplacat Jamais.»

«He, le sot!», repondit le diable, «le premier qui viendra pour passer la riviere, il n’a qu’a lui mettre sa rame a la main, il sera libre et l’autre sera oblige de faire le passeur a son tour.»

Comme l’hotesse lui avait arrache les trois cheveux d’or, et qu’elle avait tire de lui les trois reponses, elle le laissa en repos, et il dormit jusqu’au matin.

Quand le diable eut quitte la maison, la vieille prit la fourmi dans les plis de sa robe et rendit au jeune homme sa figure humaine. «Voila les trois cheveux», lui dit-elle, «mais as-tu bien entendu les reponses du diable a tes questions?»

«Tres bien», repondit-il «et je m’en souviendrai.»

«Te voila donc hors d’embarras», dit-elle, «et tu peux reprendre ta route.»

Il remercia la vieille qui l’avait si bien aide, et sortit de l’enfer, fort joyeux d’avoir si heureusement reussi.

Quand il arriva au passeur, avant de lui donner la reponse promise, il se fit d’abord passer de l’autre cote, et alors il lui fit part du conseil donne par le diable: «Le premier qui viendra pour passer la riviere, tu n’as qu’a lui mettre ta rame a la main.»

Plus loin il retrouva la ville a l’arbre sterile; la sentinelle attendait aussi sa reponse: «Tuez la souris qui ronge les racines», dit-il, «et les pommes d’or reviendront.» La sentinelle, pour le remercier, lui donna deux anes charges d’or.

Enfin il parvint a la ville dont la fontaine etait a sec. Il dit a la sentinelle: «Il y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine; cherchez-le et tuez-le, et le vin recommencera a couler en abondance.» La sentinelle le remercia et lui donna encore deux anes charges d’or.

Enfin l’enfant ne coiffe revint pres de sa femme, qui se rejouit dans son c?ur en le voyant de retour et en apprenant que tout s’etait bien passe. Il remit au roi les trois cheveux d’or du diable. Celui-ci, en apercevant les quatre anes charges d’or, fut grandement satisfait et lui dit: «Maintenant toutes les conditions sont remplies et ma fille est a toi. Mais, mon cher gendre, dis-moi d’ou te vient tant d’or? car c’est un tresor enorme que tu rapportes.»

«Je l’ai pris», dit-il, «de l’autre cote d une riviere que j’ai traversee; c’est le sable du rivage.»

«Pourrais-je m’en procurer autant?» lui demanda le roi, qui etait un avare.

«Tant que vous voudrez», repondit-il, «vous trouverez un passeur, adressez-vous a lui pour passer l’eau, et vous pourrez remplir vos sacs.»

L’avide monarque se mit aussitot en route, et, arrive au bord de l’eau, il fit signe au passeur de lui amener sa barque. Le passeur le fit entrer, et, quand ils furent sur l’autre bord, il lui mit la rame a la main et sauta dehors. Le roi devint ainsi passeur en punition de ses peches.

«L’est-il encore?»

«Eh! sans doute, puisque personne ne lui a repris la rame.»

Les Trois enfants gates de la fortune

Un pere appela un jour ses trois fils. Au premier il donna un coq, au deuxieme une faux et au troisieme un chat.

– Je me fais vieux, dit-il, le moment approche et avant de mourir je voudrais bien m’occuper de votre avenir. Je n’ai pas d’argent et ce que je vous donne la n’a, a premiere vue, qu’une faible valeur. Mais parfois on ne doit pas se fier aux apparences. Ce qui est important est la maniere dont vous saurez vous en servir. Trouvez un pays ou l’on ne connait pas encore ces serviteurs et vous serez heureux.

Apres la mort du pere, l’aine prit le coq et s’en alla dans le monde, mais partout ou il allait les gens connaissaient les coqs. D’ailleurs, dans les villes, il les voyait de loin sur la pointe des clochers, tournant au vent. Et dans les villages, il en entendit chanter un grand nombre. Personne ne s’extasiait devant son coq et rien ne faisait penser qu’il puisse lui porter bonheur. Un jour, neanmoins, il finit par trouver sur une ile des gens qui n’avaient jamais vu de coq de leur vie. Ils n’avaient aucune notion du temps et ne savaient pas le compter. Ils distinguaient le matin du soir, mais la nuit tombee, s’ils ne dormaient pas, aucun d’eux ne savait dans combien de temps le jour allait se lever.

Le garcon se mit a les interpeller:

– Approchez, approchez! Regardez cet animal fier! Il a une couronne de rubis sur la tete et des eperons comme un chevalier. Trois fois dans la nuit il vous annoncera la progression du temps, et quand il appellera pour la troisieme fois, le soleil se levera aussitot. S’il chante dans la journee, vous pourrez etre surs et certains que le temps va changer et vous pourrez prendre vos precautions.

Les gens etaient en extase devant le coq; ils resterent eveilles toute la nuit pour ecouter avec ravissement, a deux heures, puis a quatre heures et enfin a six heures le coq chanter a tue-tete pour leur annoncer l’heure. Le lendemain matin, ils demanderent au garcon de leur vendre le coq et de leur dire son prix.

– Autant d’or qu’un ane puisse porter, repondit-il.

– Si peu? Pour un tel animal? crierent les habitants de l’ile plus fort les uns que les autres. Et ils lui donnerent volontiers ce qu’il avait demande.

Le garcon rentra a la maison avec l’ane et toute sa richesse et ses freres en furent epoustoufles. Le deuxieme decida:

– J’irai, moi aussi, dans le monde! On verra si j’ai autant de chance.

Il marcha et marcha, et rien n’indiquait qu’il aurait autant de reussite avec sa faux; partout il rencontrait des paysans avec une faux sur l’epaule. Un jour, enfin, le destin le dirigea sur une ile dont les habitants n’avaient jamais vu de faux de leur vie. Lorsque le seigle etait mur, les villageois amenaient des canons sur les champs et tiraient sur le ble. C’etait, tout compte fait, pur hasard: un coup ils tiraient trop haut, un coup ils touchaient les epis a la place des tiges, et beaucoup de graines etaient ainsi perdues sans parler du fracas pendant la moisson. Insoutenable!