Contes Merveilleux Tome II, стр. 25

Raiponce

Il etait une fois un mari et sa femme qui avaient depuis longtemps desire avoir un enfant, quand enfin la femme fut dans l’esperance et pensa que le Bon Dieu avait bien voulu accomplir son v?u le plus cher. Sur le derriere de leur maison, ils avaient une petite fenetre qui donnait sur un magnifique jardin ou poussaient les plantes et les fleurs les plus belles; mais il etait entoure d’un haut mur, et nul n’osait s’aventurer a l’interieur parce qu’il appartenait a une sorciere douee d’un grand pouvoir et que tout le monde craignait. Un jour donc que la femme se tenait a cette fenetre et admirait le jardin en dessous, elle vit un parterre plante de superbes raiponces avec des rosettes de feuilles si vertes et si luisantes, si fraiches et si appetissantes, que l’eau lui en vint a la bouche et qu’elle reva d’en manger une bonne salade. Cette envie qu’elle en avait ne faisait que croitre et grandir de jour en jour; mais comme elle savait aussi qu’elle ne pourrait pas en avoir, elle tomba en melancolie et commenca a deperir, maigrissant et palissant toujours plus. En la voyant si bas, son mari s’inquieta et lui demanda: «Mais que t’arrive-t-il donc, ma chere femme?

– Ah! lui repondit-elle, je vais mourir si je ne peux pas manger des raiponces du jardin de derriere chez nous!»

Le mari aimait fort sa femme et pensa: «plutot que de la laisser mourir, je lui apporterai de ces raiponces, quoi qu’il puisse m’en couter!» Le jour meme, apres le crepuscule, il escalada le mur du jardin de la sorciere, y prit en toute hate une, pleine main de raiponces qu’il rapporta a son epouse. La femme s’en prepara immediatement une salade, qu’elle mangea avec une grande avidite. Mais c’etait si bon et cela lui avait tellement plu que le lendemain, au lieu que son envie fut satisfaite, elle avait triple. Et pour la calmer, il fallut absolument que son mari retournat encore une fois dans le jardin. Au crepuscule, donc, il fit comme la veille, mais quand il sauta du mur dans le jardin, il se figea d’effroi car la sorciere etait devant lui!

– Quelle audace de t’introduire dans mon jardin comme un voleur, lui dit-elle avec un regard furibond, et de venir me voler mes raiponces! Tu vas voir ce qu’il va t’en couter!

– Oh! supplia-t-il, ne voulez-vous pas user de clemence et preferer misericorde a justice? Si Je l’ai fait, si je me suis decide a le faire, c’est que j’etais force: ma femme a vu vos raiponces par notre petite fenetre, et elle a ete prise d’une telle envie d’en manger qu’elle serait morte si elle n’en avait pas eu.

La sorciere fit taire sa fureur et lui dit: «Si c’est comme tu le pretends, je veux bien te permettre d’emporter autant de raiponces que tu voudras, mais a une condition: c’est que tu me donnes l’enfant que ta femme va mettre au monde. Tout ira bien pour lui et j’en prendrai soin comme une mere.»

Le mari, dans sa terreur, accepta tout sans discuter. Et quelques semaines plus tard, quand sa femme accoucha, la sorciere arriva aussitot, donna a l’enfant le nom de Raiponce et l’emporta avec elle.

Raiponce etait une fillette, et la plus belle qui fut sous le soleil. Lorsqu’elle eut ses douze ans, la sorciere l’enferma dans une tour qui se dressait, sans escalier ni porte, au milieu d’une foret. Et comme la tour n’avait pas d’autre ouverture qu’une minuscule fenetre tout en haut, quand la sorciere voulait y entrer, elle appelait sous la fenetre et criait:

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

Raiponce avait de longs et merveilleux cheveux qu’on eut dits de fils d’or. En entendant la voix de la sorciere, elle defaisait sa coiffure, attachait le haut de ses nattes a un crochet de la fenetre et les laissait se derouler jusqu’en bas, a vingt aunes au-dessous, si bien que la sorciere pouvait se hisser et entrer.

Quelques annees plus tard, il advint qu’un fils de roi qui chevauchait dans la foret passa pres de la tour et entendit un chant si adorable qu’il s’arreta pour ecouter. C’etait Raiponce qui se distrayait de sa solitude en laissant filer sa delicieuse voix. Le fils de roi, qui voulait monter vers elle, chercha la porte de la tour et n’en trouva point. Il tourna bride et rentra chez lui; mais le chant l’avait si fort bouleverse et emu dans son c?ur, qu’il ne pouvait plus laisser passer un jour sans chevaucher dans la foret pour revenir a la tour et ecouter. Il etait la, un jour, cache derriere un arbre, quand il vit arriver une sorciere qu’il entendit appeler sous la fenetre:

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

Alors Raiponce laissa se derouler ses nattes et la sorciere grimpa. «Si c’est la l’escalier par lequel on monte, je veux aussi tenter ma chance», se dit-il; et le lendemain, quand il commenca a faire sombre, il alla au pied de la tour et appela:

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

Les nattes se deroulerent aussitot et le fils de roi monta. Sur le premier moment, Raiponce fut tres epouvantee en voyant qu’un homme etait entre chez elle, un homme comme elle n’en avait jamais vu; mais il se mit a lui parler gentiment et a lui raconter combien son c?ur avait ete touche quand il l’avait entendue chanter, et qu’il n’avait plus eu de repos tant qu’il ne l’eut vue en personne. Alors Raiponce perdit son effroi, et quand il lui demanda si elle voulait de lui comme mari, voyant qu’il etait jeune et beau, elle pensa: «Celui-ci m’aimera surement mieux que ma vieille mere-marraine, la Taufpatin», et elle repondit qu’elle le voulait bien, en mettant sa main dans la sienne. Elle ajouta aussitot:

– Je voudrais bien partir avec toi, mais je ne saurais pas comment descendre. Si tu viens, alors apporte-moi chaque fois un cordon de soie: j’en ferai une echelle, et quand elle sera finie, je descendrai et tu m’emporteras sur ton cheval.

Ils convinrent que d’ici la il viendrait la voir tous les soirs, puisque pendant la journee venait la vieille. De tout cela, la sorciere n’eut rien devine si, un jour, Raiponce ne lui avait dit: «Dites-moi, mere-marraine, comment se fait-il que vous soyez si lourde a monter, alors que le fils du roi, lui, est en haut en un clin d’?il?

– Ah! scelerate! Qu’est-ce que j’entends? s’exclama la sorciere. Moi qui croyais t’avoir isolee du monde entier, et tu m’as pourtant flouee!»

Dans la fureur de sa colere, elle empoigna les beaux cheveux de Raiponce et les serra dans sa main gauche en les tournant une fois ou deux, attrapa des ciseaux de sa main droite et cric-crac, les belles nattes tombaient par terre. Mais si impitoyable etait sa cruaute, qu’elle s’en alla deposer Raiponce dans une solitude desertique, ou elle l’abandonna a une existence miserable et pleine de detresse.

Ce meme jour encore, elle revint attacher solidement les nattes au crochet de la fenetre, et vers le soir, quand le fils de roi arriva et appela:

Raiponce, Raiponce,

Descends-moi tes cheveux.

La sorciere laissa se derouler les nattes jusqu’en bas. Le fils de roi y monta, mais ce ne fut pas sa bien-aimee Raiponce qu’il trouva en haut, c’etait la vieille sorciere qui le fixait d’un regard feroce et empoisonne.