Contes Merveilleux Tome I, стр. 5

On invita tous les rois et toutes les reines. Quand la belle-mere se fut paree de ses plus beaux atours, elle posa a son miroir l'eternelle question.

Helas, le miroir lui repondit:

– Reine tu etais la plus belle, mais la fiancee brille d'une splendeur sans pareille.

A ces mots, la reine entra dans une violente fureur. Tout d'abord, elle ne voulut plus aller aux noces. Puis elle ne put resister au desir de voir cette jeune princesse qui etait si belle. Quand elle reconnut Blanche neige, elle fut prise d'une telle rage qu'elle tomba terrassee par sa propre jalousie.

La Bonne bouillie

Il etait une fois une pieuse et pauvre fille qui vivait seule avec sa mere. Elles n'avaient plus rien a manger, et la fillette s'en alla dans la foret, ou elle fit la rencontre d'une vieille femme qui connaissait sa misere et qui lui fit cadeau d'un petit pot, auquel il suffisait de dire. «Petit pot, cuis!», pour qu'il vous cuise une excellente et douce bouillie de millet; et quand on lui disait. «Petit pot, cesse!», il s'arretait aussitot de faire la bouillie. La fillette rapporta le pot chez sa mere, et c'en fut termine pour elles et de la pauvrete et de la faim, car elles mangeaient de la bonne bouillie aussi souvent et tout autant qu'elles le voulaient. Une fois, la fille etait sortie et la mere dit: «Petit pot, cuis!» Alors il cuisina, et la mere mangea jusqu'a n'avoir plus faim; mais comme elle voulait maintenant que le petit pot s'arretat, elle ne savait pas ce qu'il fallait dire, et alors il continua et continua, et voila que la bouillie deborda; et il continua, et la bouillie envahit la cuisine, la remplit, envahit la maison, puis la maison voisine, puis la rue, continuant toujours et continuant encore comme si le monde entier devait se remplir de bouillie que personne n'eut plus faim. Oui, mais alors commence la tragedie, et personne ne sait comment y remedier. La rue entiere, les autres rues, tout est plein; et quand il ne reste plus, en tout et pour tout, qu'une seule maison qui ne soit pas remplie, la fillette rentre a la maison et dit tout simplement. «Petit pot, cesse!» Et il s'arrete et ne repand plus de bouillie. Mais celui qui voulait rentrer en ville, il lui fallait manger son chemin.

Les Bottes en cuir de buffle

Un soldat qui n'a peur de rien se doit aussi de ne se tracasser de rien. Tel etait le soldat de cette histoire, qui venait d'etre demobilise; comme il ne savait rien et n'avait rien appris qui put lui servir a gagner son pain, il s'en alla tout simplement et se mit a mendier. Il possedait un vieux manteau de drap contre les intemperies, et il etait aussi chausse de hautes bottes en cuir de buffle, qu'il avait pu garder. Un jour, il s'en alla, coupant a travers champs, sans s'occuper le moins du monde des chemins ou des routes, des carrefours ou des ponts, et il finit par se trouver dans une grande foret sans trop savoir ou il etait. En cherchant a se reperer, il vit, assis sur une souche d'arbre, quelqu'un de bien vetu qui portait le costume vert des chasseurs. Le soldat vint et lui serra la main, puis s'assit familierement dans l'herbe a cote de lui, les jambes allongees.

– Je vois, dit-il au chasseur, que tu portes de fines bottes fameusement cirees; mais si tu etais toujours par monts et par vaux comme moi, elles ne resisteraient pas longtemps, c'est moi qui te le dis! Regarde un peu les miennes: c'est du buffle et cela tient le coup, meme s'il y a longtemps qu'elles servent! Au bout d'un moment, le soldat se remit debout.

– J'ai trop faim pour rester la plus longtemps, dit-il. Mais toi, mon vieux Bellesbottes, quelle est ta direction?

– Je n'en sais trop rien, repondit le chasseur, je me suis egare dans la foret.

– Tu es dans le meme cas que moi, alors, reprit le soldat. Qui se ressemble s'assemble, comme on dit. On ne va pas se quitter, mais chercher le bon chemin ensemble! Le chasseur eut un leger sourire et ils cheminerent de conserve jusqu'a la tombee de la nuit. On n'en sortira pas, de cette foret! s'exclama le soldat. Mais j'apercois la-bas une lumiere, on y trouvera de quoi manger sans doute. Allons-y! Ils arriverent a une solide maison de pierre et frapperent a la porte. Une vieille femme vint ouvrir.

– Nous cherchons un campement pour la nuit et quelque chose a nous mettre sous la dent, dit le soldat; mon estomac est aussi vide qu'un vieux tambour.

– Ne restez pas la! leur conseilla la vieille femme. C'est une maison de voleurs, un repaire de bandits, et ce que vous avez de mieux a faire, c'est de vous en aller avant leur retour. S'ils vous trouvent ici, vous etes perdus! – Oh! les choses ne sont pas si terribles que cela, repondit le soldat. Cela fait deux jours que je n'ai rien mange, pas une miette. Perir ici ou aller crever de faim dans la foret, cela ne change rien pour moi. Je prefere entrer! Le chasseur ne voulait pas le suivre, mais le soldat l'attrapa par la manche et le tira en lui disant: «Allez, viens, vieux frere, on n'est pas encore mort pour autant!» Compatissante, la vieille femme leur dit.- «Allez vous cacher derriere le poele, je vous ferai passer les restes, s'il y en a, quand ils seront endormis.» Ils venaient a peine de se glisser dans leur coin quand les bandits, au nombre de douze, firent irruption dans la maison et se precipiterent a table en reclamant a corps et a cris leur souper. La table etait deja mise et la vieille leur apporta un roti enorme, dont les bandits se regalerent. Mais quand la delicieuse odeur du plat vint chatouiller les narines du soldat, il n'y put plus tenir. – J'y vais! dit-il au chasseur. Je me mets a table avec eux et je mange! Impossible d'attendre.

– Tu vas nous faire tuer! dit le chasseur en le retenant par le bras.

Mais le soldat fit expres de tousser bien fort et les bandits, en l'entendant lacherent couteaux et fourchettes pour se precipiter derriere le poele, ou ils les trouverent tous les deux. – Ha ha! mes beaux messieurs, on se cache dans les coins? et qu’est-ce que vous fichez ici? on vous a envoye espionner? C'est bon, vous allez bientot savoir comment on plane sous une bonne branche nue!

– Eh la! un peu plus de manieres, que diable! s'exclama le soldat. Je creve de faim, alors donnez-moi d'abord a manger! Apres, vous ferez ce qu'il vous plaira. Les bandits en furent stupefaits et le chef parla – Au moins, toi, tu n'as pas froid aux yeux! C'est bon, on va te donner a manger d'abord et tu mourras apres.

– On verra bien, fit le soldat avec insouciance, tout en allant se mettre a table pour travailler hardiment du couteau dans le roti. Viens manger, mon vieux Bellesbottes! lanca-t-il a son compagnon. Tu dois etre aussi affame que moi. Le roti est fameux, je t'assure! Meme chez toi, tu n'en mangerais pas de meilleur! Mais le chasseur resta a l'ecart et ne voulut pas manger, et le soldat y alla de bon appetit, observe avec stupefaction par les bandits qui se disaient «Il ne manque pas de culot, celui-la!»

– C'est joliment bon! declara le soldat quand il eut vide son assiette. Maintenant, il faudrait aussi boire un bon coup, et la bonne bouteille se fait attendre! Le chef se sentait d'assez bonne humeur pour lui faire encore ce plaisir et il cria a la vieille femme: «Monte-nous une bonne bouteille de la cave! Mais du bon, hein, tu as compris?» Ce fut le soldat lui-meme qui deboucha la bouteille, en faisant peter le bouchon de facon retentissante, puis il passa, bouteille en main, pres du chasseur, auquel il chuchota. «Prends garde, vieux frere, tu vas maintenant en voir de belles! Regarde bien: je vais lever mon verre a la sante de toute la sacree clique!» Sur quoi il se retourna, leva son verre au-dessus de sa tete et declama – «A votre bonne sante a tous, mais la gueule grande ouverte et le bras droit leve!» Et il but une solide lampee. Il avait a peine dit ces mots que les bandits restaient tous figes comme des statues, la bouche ouverte et le bras droit dresse en l'air. Je suis sur que tu as encore bien d'autres tours dans ton sac, lui dit le chasseur en voyant cela, mais c'est tres bien. A present, viens, allons-nous-en!