Contes Merveilleux Tome I, стр. 21

Elle prit une verge et frappa les pierres: aussitot revinrent a la vie non seulement le frere et ses animaux, mais une foule d’autres personnes encore, tels que marchands, ouvriers, patres, qui lui rendirent grace de leur delivrance et retournerent chez eux. Quant aux freres jumeaux, des qu’ils se revirent, ils se precipiterent dans les bras l’un de l’autre. Puis ils saisirent la sorciere, lui lierent les membres et la jeterent dans le feu: des qu’elle fut consumee, la foret sembla s’ouvrir d’elle-meme; elle devint claire et brillante, et on pouvait apercevoir le palais du roi a trois lieues de distance. Les deux freres reprirent ensemble la route du chateau, et tout en allant, ils se raconterent chacun leur histoire. Et lorsque le plus jeune eut dit qu’il devait un jour remplacer le roi sur le trone, l’autre reprit:

– Je m’en suis bien apercu, car lorsque j’arrivai dans la ville et qu’on m’eut prit pour toi, on me rendit tous les honneurs royaux, la jeune princesse me recut comme son epoux, et je dus m’asseoir a son cote a table et dormir dans ton lit.

La-dessus, ils continuerent leur route, et le jeune prince dit a son frere:

– Tu me ressembles de tout point, tu portes comme moi des vetements royaux et tes betes te suivent ainsi que font les miennes. Entrons dans la ville par les deux portes opposees et arrivons de deux cotes differents et en meme temps en presence du roi.

Ils se separerent donc et les factionnaires de l’une et de l’autre porte se presenterent au meme instant devant le vieux roi pour lui annoncer que le jeune prince arrivait de la chasse avec ses animaux. Le roi repondit:

– Cela n’est pas possible; les deux portes sont a une lieue de distance.

En ce moment les deux freres entraient de deux cotes differents dans la cour du palais. Ils en monterent les degres ensemble. Le roi dit a sa fille:

– Indique-moi quel est ton epoux; ces deux princes se ressemblent tellement que je ne puis les reconnaitre.

L’anxiete de la princesse etait grande, et elle ne savait que repondre, lorsqu’elle apercut le collier qu’elle avait donne aux animaux ainsi que le fermoir d’or que portait le lion de son epoux. Alors elle s’ecria avec joie:

– Celui-ci est mon veritable epoux.

Le jeune prince se mit a rire et dit:

– Oui, c’est le veritable.

Et ils prirent tous place a table, et s’abandonnerent a leur joie.

Le Diable et sa grand-mere

Il y avait une grande guerre en ces temps-la et le roi avait beaucoup de soldats a son service; mais il leur versait une si maigre solde que les soldats arrivaient a peine a en vivre. Trois des soldats, qui en avaient assez, se concerterent et deciderent de deserter. Le premier dit aux autres: «Si l'on nous prend, nous finirons sur l'echafaud. Comment donc allons-nous faire?» Le second repondit: «Voyez, la-bas, le champ de ble! Si nous nous y cachons, personne ne nous trouvera. L'armee ne restera pas ici; demain, les troupes doivent lever le camp.» Les trois soldats ramperent dans le champ de ble et s'y cacherent. Mais le lendemain, les troupes ne s'en allerent pas et les trois soldats durent rester caches durant deux jours et deux nuits. N'ayant rien a manger, etant presque morts de faim, ils se resolurent donc a sortir: «A quoi bon deserter, si c'est pour mourir miserablement?», se dirent-ils.

A ce moment, un dragon flamboyant surgit des cieux et se posa juste devant eux. Il leur demanda alors pourquoi ils restaient terres la. «Nous sommes trois soldats qui ont deserte parce que de notre solde nous ne vivons pas. Mais de faim nous allons mourir, si nous restons ici; ou sur l'echafaud nous allons perir, si nous quittons notre nid.» «Si vous devenez mes serviteurs pendant sept annees, dit le dragon, je vous transporterai au-dela des troupes, si bien que personne ne vous prendra». «Nous n'avons pas le choix, et devons accepter», se dirent les soldats. Le dragon les prit alors dans ses griffes, les transporta loin des troupes, et les deposa sur le sol.

Il donna a chacun un petit fouet et leur dit: «Frappez et claquez avec ce fouet, et tout l'or que vous souhaitez vous apparaitra. Vous pourrez mener la grande vie, posseder des chevaux et voyager en voiture. Mais lorsque les sept annees seront ecoulees, vous m'appartiendrez.» Le dragon n'etait nul autre que le diable et il leur presenta un livre dans lequel tous trois durent apposer leur signature. Puis il ajouta: «Toutefois, avant de vous emmener avec moi, je vous poserai une enigme; si vous pouvez la resoudre, alors vous serez libres et je n'aurai plus aucun droit sur vous.» Sur ce, le dragon s'envola et s'eloigna.

Les soldats firent claquer leur fouet et obtinrent de l'or en abondance. Ils se firent confectionner de beaux habits et allerent de par le monde. Partout ou ils allaient, ils vivaient dans le bonheur et dans la somptuosite. Ils se promenaient a cheval et en voiture, ils mangeaient et buvaient comme des rois, mais jamais ils ne firent quelque chose de mal. Le temps passait vite et, comme les sept annees etaient presque ecoulees, les deux premiers soldats devinrent anxieux et apeures. Mais le troisieme leur dit: «Mes freres, ne vous effrayez pas. Je trouverai la solution de l'enigme.» Puis, ils retournerent dans le champ de ble et s'y assirent. Les deux premiers soldats avaient toujours leur triste mine.

Une vieille femme, qui vint a passer, leur demanda ce qui les rendait si triste. «A ce qui nous arrive, vous ne pouvez rien y faire.» «Qui sait, repondit la vieille femme, confiez-moi toujours vos soucis.» Ils lui raconterent alors que, presque sept ans plus tot, le diable avait fait d'eux ses serviteurs, qu'il leur avait donne le pouvoir de creer autant d'or qu'ils le voulaient et que si, a la fin de la septieme annee, ils ne repondaient pas a l'enigme qui leur serait posee, le diable les emporterait avec lui en enfer. La vieille femme leur dit: «Si vous voulez obtenir de l'aide, alors l'un de vous devra aller dans la foret. La, il trouvera un amas de roches qui ressemble a une petite maison et il y entrera.»

Les deux soldats qui etaient tristes se dirent: «Cela ne nous sauvera pas!»; et ils resterent assis. Mais le troisieme, celui qui etait gai, se leva et alla tres loin dans la foret, jusqu'a ce qu'il trouve la petite maison de pierres. Dans la maisonnette, une tres vieille dame etait assise: c'etait la grand-mere du diable. Celle-ci demanda au soldat d'ou il venait et ce qu'il voulait. Il lui raconta tout ce qui etait arrive, si bien que la vielle dame eut pitie et decida de l'aider. Elle souleva une grosse pierre qui bouchait l'entree d'une cave, et dit: «Cache-toi la, et tu pourras entendre ce qui se dira. Reste assis, soit tranquille, et ne bouge pas; lorsque le dragon viendra, je le ferai parler et il me donnera la solution de l'enigme: a moi, il me dit tout. Soit alerte, ecoute bien tout ce qu'il racontera.»

A minuit, le dragon arriva et demanda son repas. Afin de le contenter, sa grand-mere dressa la table, apporta des victuailles et mangea en sa compagnie. Au cours de la conversation, elle lui demanda comment s'etait passee sa journee et de combien d'ames il s'etait empare. «Aujourd'hui, je n'ai eu guere de succes, repondit-il, mais demain, je dois m'emparer de l'ame de trois soldats.» «Oui!, repondit-elle, trois soldats qui peuvent sans doute encore t'echapper.» Le diable s'exclama d'un rire moqueur: «Ils seront a moi! Je leur ai propose une enigme a laquelle ils ne pourront jamais repondre!» «Et qu'elle est donc cette enigme?», demanda la grand-mere. «Je vais te le dire: dans la grande Mer du Nord, se trouve un poisson mort dont sera fait leur repas; dans une cote de baleine sera taillee leur cuillere; et un sabot de vieux cheval leur servira en guise de coupe.»