Contes Merveilleux Tome I, стр. 15

Les Deux freres

Il y avait une fois deux freres, dont l’un etait riche, et l’autre pauvre. Le riche etait orfevre, et il avait un mauvais c?ur; le pauvre gagnait sa miserable vie a nouer des balais; il etait bon et honnete. Il avait deux enfants; c’etaient deux jumeaux qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Ces deux enfants avaient coutume de parcourir en tous sens la maison du riche, ou on les nourrissait quelquefois avec les restes. Il arriva que le frere pauvre, allant un jour dans la foret pour y chercher du bouleau, apercut un oiseau dont le plumage etait entierement couleur d’or, et si beau qu’il n’en avait jamais vu de pareil. Il ramassa aussitot une petite pierre, la lanca apres l’oiseau, et reussit a l’atteindre; mais il ne tomba de son corps qu’une plume d’or, et l’oiseau disparut en volant. Le pauvre homme prit la plume et la porta a son frere, qui l’examina et dit:

– C’est de l’or pur. Il lui donna en echange beaucoup d’argent.

Le lendemain, le pauvre homme monta au haut d’un bouleau et il allait en couper quelques rameaux, lorsque le meme oiseau sortit des feuilles; le pauvre homme fouilla dans le feuillage, et trouva un nid ou il y avait un ?uf d’or. Il emporta cet ?uf avec lui au logis, et alla le montrer a son frere, qui dit de nouveau:

– C’est de l’or pur, et lui donna une bonne recompense. Puis l’orfevre ajouta:

– Je voudrais bien avoir cet oiseau.

Le frere pauvre alla une troisieme fois dans la foret, et apercut de nouveau l’oiseau d’or pose sur la cime de l’arbre; il prit une pierre et visa si juste qu’il l’abattit du coup; il le porta a son frere qui lui donna en retour un grands tas d’or. «Maintenant, pensa celui-ci, je pourrai me tirer d’affaire.» Et il revint tout joyeux a la maison. L’orfevre, qui etait habile et ruse, savait bien quel oiseau precieux etait tombe entre ses mains. Il appela sa femme, et lui dit:

– Fais moi rotir cet oiseau d’or, et aie bien soin qu’il n’en sorte pas le plus petit morceau; je me fais une fete de le manger tout entier.

Cet oiseau etait d’une si merveilleuse nature que celui qui en mangerait le c?ur et le foie devait trouver tous les matins une piece d’or sous son oreiller. La femme prepara l’oiseau, le mit a la broche, et le fit rotir. Il advint que, tandis qu’il etait devant le feu et que la femme s’occupait a d’autres ouvrages dans la cuisine, les deux enfants du pauvre faiseur de balais entrerent, se placerent en face de la broche, et la tournerent deux fois ou trois fois; et comme deux petits morceaux de l’oiseau venaient de tomber dans la lechefrite, l’un des enfants dit a l’autre:

– Mangeons ces deux petits morceaux, je meurs de faim; aussi bien personne ne pourra s’en apercevoir. Ce qui fut dit, fut fait.

La femme arriva sur l’entrefaite, et voyant leurs machoires en train de fonctionner, elle leur dit:

– Que mangez-vous donc la?

– Deux petits morceaux qui sont tombes de l’oiseau, repondirent-ils.

– C’etaient le c?ur et le foie, dit la femme saisie d’epouvante. Et pour que son mari ne s’apercut de rien, elle tua aussitot un coq, en prit le c?ur et le foie, et les placa dans l’oiseau d’or.

Quand celui-ci fut entierement roti, elle l’apporta a l’orfevre, qui le devora a lui seul, sans rien laisser. Mais, lorsque le lendemain matin il passa la main sous son oreiller, dans l’espoir d’y prendre un morceau d’or, il fut tres etonne de n’y n’en trouver. Les deux enfants, au contraire, ne se doutaient pas du bonheur qui leur etait arrive. Le matin suivant, quand ils se leverent, quelque chose tomba a terre avec un bruit clair, et quand ils le ramasserent, ils virent que c’etaient deux pieces d’or. Ils les porterent a leur pere, qui fut au comble de la surprise, et leur dit:

– Comment cela a-t-il donc pu arriver? Le meme prodige s’etant encore renouvele le matin suivant et les autres jours, le pere des jumeaux alla trouver son frere, et lui raconta la singuliere histoire.

L’orfevre n’eut pas de peine a comprendre la cause de ce resultat merveilleux, et vit bien que les enfants avaient mange le c?ur et le foie de l’oiseau d’or; et pour se venger d’eux en homme envieux et mechant qu’il etait, il dit au pere:

– Tes enfants sont en relation avec le malin esprit; garde-toi bien de prendre cet or, et chasse ces enfants loin de ta maison, car desormais le diable a du pouvoir sur eux, et il pourrait te perdre toi-meme.

Ces paroles consternerent le pauvre pere, et quoique ce fut pour lui une bien douloureuse necessite, il emmena les deux jumeaux au milieu de la foret, ou il les abandonna, helas! avec un profond desespoir. Les deux malheureux enfants se mirent a parcourir en tous sens la foret, cherchant a retrouver le chemin de la maison paternelle, mais au lieu de le trouver, ils s’egarerent de plus en plus. Ils rencontrerent enfin un chasseur qui leur demanda:

– A qui appartenez-vous, mes enfants?

– Nous sommes les fils du pauvre faiseur de balais.

Et ils lui raconterent que leur pere les avait abandonnes parce que, tous les matins, une piece d’or se trouvait sous leur oreiller. Le chasseur etait un brave homme, et comme ces enfants lui plurent, et qu’il n’en avait pas lui-meme, il les emmena chez lui, et leur dit:

– Je veux vous servir de pere et avoir soin de vous jusqu’a ce que vous soyez devenus grands.

Ils apprirent aupres de lui l’art de la chasse, et le brave homme mit en reserve les pieces d’or qui se trouvaient chaque matin sous la tete des jumeaux, pour les leur rendre plus tard lorsqu’ils en auraient besoin. Quand ils furent devenus grands, leur pere nourricier les emmena un jour avec lui dans la foret, en leur disant:

– Vous devez montrer aujourd’hui ce que vous savez faire; je veux voir si vous etes en etat de vous passer de moi, et de devenir des chasseurs.

Ils allerent donc avec lui se poster a l’affut; la, ils attendirent longtemps, et le gibier ne se montra pas. A la fin pourtant, le chasseur, levant les yeux, apercut une troupe d’oies sauvages qui, dans leur vol, decrivaient un triangle, et il dit a l’un des jeunes gens:

– Dirige ton coup sur une des oies de ce cote-ci.

Le jeune homme obeit et tira juste. Bientot apres, apparut une seconde troupe d’oies, qui avaient dans leur vol la forme du chiffre 3; le chasseur dit encore a son second eleve de viser une des oies de tel cote, ce que fit ce dernier avec autant de succes que son frere; sur quoi, le pere nourricier leur dit:

– Vous pouvez maintenant vous passer de moi, vous etes des chasseurs consommes.

La-dessus, les deux freres s’enfoncerent ensemble dans la foret, se concerterent et formerent un projet. Et le soir, lorsqu’ils prirent place au souper, ils dirent a leur pere nourricier:

– Nous ne mangeons pas une miette que vous ne nous ayez accorde une grace.

– Parlez, quelle est cette grace? leur dit-il. Ils repondirent: