Contes merveilleux, Tome II, стр. 4

– Cela me semble bien dur cependant, dit l'Ombre d'un air contrit et en soupirant; elle m'a servie si fidelement!

– J'apprecie tes scrupules, dit la princesse, et je reconnais une fois de plus combien tu as un noble caractere. Mais ceux qui sont charges d'une couronne ne peuvent pas ecouter leur coeur. Donc je m'en tiendrai a ce que j'ai pense.

Le soir, toute la ville fut illuminee splendidement; a chaque seconde retentissait un coup de canon. Les cris de joie du peuple se melaient aux boum boum. C'etait magnifique. Un superbe feu d'artifice fut tire devant le palais, et la fille du roi et son epoux vinrent sur le balcon recevoir les acclamations.

Le bruit etourdissant de la fete ne troubla pas le pauvre savant; il etait deja mis a mort et enterre.

Le papillon

Le papillon veut se marier et, comme vous le pensez bien, il pretend choisir une fleur jolie entre toutes les fleurs. Elles sont en grand nombre et le choix dans une telle quantite est embarrassant. Le papillon vole tout droit vers les paquerettes. C'est une petite fleur que les Francais nomment aussi marguerite. Lorsque les amoureux arrachent ses feuilles, a chaque feuille arrachee ils demandent:

– M'aime-t-il ou m'aime-t-elle un peu, beaucoup, passionnement, pas du tout? La reponse de la derniere feuille est la bonne. Le papillon l'interroge:

– Chere dame Marguerite, dit-il, vous etes la plus avisee de toutes les fleurs. Dites-moi, je vous prie, si je dois epouser celle-ci ou celle-la.

La marguerite ne daigna pas lui repondre. Elle etait mecontente de ce qu'il l'avait appelee dame, alors qu'elle etait encore demoiselle, ce qui n'est pas du tout la meme chose. Il renouvela deux fois sa question, et, lorsqu'il vit qu'elle gardait le silence, il partit pour aller faire sa cour ailleurs. On etait aux premiers jours du printemps. Les crocus et les perce-neige fleurissaient a l'entour.

– Jolies, charmantes fleurettes! dit le papillon, mais elles ont encore un peu trop la tournure de pensionnaires. Comme les tres jeunes gens, il regardait de preference les personnes plus agees que lui.

Il s'envola vers les anemones; il les trouva un peu trop ameres a son gout. Les violettes lui parurent trop sentimentales. La fleur de tilleul etait trop petite et, de plus, elle avait une trop nombreuse parente. La fleur de pommier rivalisait avec la rose, mais elle s'ouvrait aujourd'hui pour perir demain, et tombait au premier souffle du vent; un mariage avec un etre si delicat durerait trop peu de temps. La fleur des pois lui plut entre toutes; elle est blanche et rouge, fraiche et gracieuse; elle a beaucoup de distinction et, en meme temps, elle est bonne menagere et ne dedaigne pas les soins domestiques. Il allait lui adresser sa demande, lorsqu'il apercut pres d'elle une cosse a l'extremite de laquelle pendait une fleur dessechee:

– Qu'est-ce cela? fit-il.

– C'est ma soeur, repondit Fleur des Pois.

– Vraiment, et vous serez un jour comme cela! s'ecria le papillon qui s'enfuit.

Le chevrefeuille penchait ses branches en dehors d'une haie; il y avait la une quantite de filles toutes pareilles, avec de longues figures au teint jaune.

– A coup sur, pensa le papillon, il etait impossible d'aimer cela.

Le printemps passa, et l'ete apres le printemps. On etait a l'automne, et le papillon n'avait pu se decider encore. Les fleurs etalaient maintenant leurs robes les plus eclatantes; en vain, car elles n'avaient plus le parfum de la jeunesse. C'est surtout a ce frais parfum que sont sensibles les coeurs qui ne sont plus jeunes; et il y en avait fort peu, il faut l'avouer, dans les dahlias et dans les chrysanthemes. Aussi le papillon se tourna-t-il en dernier recours vers la menthe. Cette plante ne fleurit pas, mais on peut dire qu'elle est fleur tout entiere, tant elle est parfumee de la tete au pied; chacune de ses feuilles vaut une fleur, pour les senteurs qu'elle repand dans l'air.»C'est ce qu'il me faut, se dit le papillon; je l'epouse.» Et il fit sa declaration.

La menthe demeura silencieuse et guindee, en l'ecoutant. A la fin elle dit:

– Je vous offre mon amitie, s'il vous plait, mais rien de plus. Je suis vieille, et vous n'etes plus jeune. Nous pouvons fort bien vivre l'un pour l'autre; mais quant a nous marier… sachons a notre age eviter le ridicule.

C'est ainsi qu'il arriva que le papillon n'epousa personne. Il avait ete trop long a faire son choix, et c'est une mauvaise methode. Il devint donc ce que nous appelons un vieux garcon.

L'automne touchait a sa fin; le temps etait sombre, et il pleuvait. Le vent froid soufflait sur le dos des vieux saules au point de les faire craquer. Il n'etait pas bon vraiment de se trouver dehors par ce temps-la; aussi le papillon ne vivait-il plus en plein air. Il avait par fortune rencontre un asile, une chambre bien chauffee ou regnait la temperature de l'ete. Il y eut pu vivre assez bien, mais il se dit: «Ce n'est pas tout de vivre; encore faut-il la liberte, un rayon de soleil et une petite fleur.» Il vola vers la fenetre et se heurta a la vitre. On l'apercut, on l'admira, on le captura et on le ficha dans la boite aux curiosites.» Me voici sur une tige comme les fleurs, se dit le papillon. Certainement, ce n'est pas tres agreable; mais enfin on est case: cela ressemble au mariage.» Il se consolait jusqu'a un certain point avec cette pensee.»C'est une pauvre consolation», murmurerent railleusement quelques plantes qui etaient la dans des pots pour egayer la chambre.» Il n'y a rien a attendre de ces plantes bien installees dans leurs pots, se dit le papillon; elles sont trop a leur aise pour etre humaines.»

Papotages d'enfants

Dans la maison d'un marchand, de nombreux enfants se reunirent un jour, des enfants de familles riches, des enfants de familles nobles. Monsieur le marchand avait reussi; c'etait un homme erudit puisque jadis, il etait entre a l'Universite. Son pere qui avait commence comme simple commercant, mais honnete et entreprenant, lui avait fait lire des livres. Son commerce rapportait bien et le marchand faisait encore multiplier cette richesse. Il avait aussi bon coeur et la tete bien en place, mais de cela on parlait bien moins souvent que de sa grosse fortune. Se reunissaient chez lui des gens nobles, comme on dit, par leur titre, mais aussi par leur esprit, certains meme par les deux a la fois mais d'autres ni par l'un ni par l'autre. En ce moment, une petite soiree d'enfants y avait lieu, on entendait des enfants papoter; et les enfants n'y vont pas par quatre chemins. Il y avait par exemple une petite fille tres mignonne mais terriblement pretentieuse; c'etaient ses domestiques qui le lui avaient appris, pas ses parents qui etaient bien trop raisonnables pour cela. Son pere etait majordome, c'etait une haute fonction et elle le savait bien.

– Je suis une enfant de majordome, se vantait-elle.

Elle pouvait aussi bien etre la fille des Tartempion, on ne choisit pas ses parents. Elle raconta aux autres qu'elle etait «noble» et affirma que celui qui n'etait pas bien ne n'arriverait jamais a rien dans la vie. On pouvait travailler avec assiduite, si l'on n'est pas bien ne on n'arrivera a rien.

– Et ceux dont les noms se terminent par sen, proclama-t-elle, ne pourront jamais reussir dans la vie. Devant tous ces sen et sen, il n'y a plus que poser ses mains sur les hanches et s'en tenir bien a l'ecart!

Et aussitot elle posa ses jolies petites mains a sa taille, les coudes bien pointus pour montrer aux autres comment il fallait traiter ces gens-la. Quels jolis bras avait-elle! Une petite fille tres charmante!

Or, la fille de monsieur le Marchand se mit en colere. C'est que son pere s'appelait Madsen et c'est aussi, helas! un nom en sen; elle se gonfla et declara avec fierte: