Contes merveilleux, Tome I, стр. 9

Cependant un jour, il se dit:

«C'est tout de meme dommage qu'on ne puisse voir cette princesse. On dit qu'elle est si charmante… A quoi bon si elle doit toujours rester prisonniere dans le grand chateau aux toits de cuivre avec toutes ces tours? Est-il vraiment impossible que je la voie? Ou est mon briquet?»

Il fit jaillir une etincelle et le chien aux yeux grands comme des soucoupes apparut.

– Il est vrai qu'on est au milieu de la nuit, lui dit le soldat, mais j'ai une envie folle de voir la princesse. En un clin d'oeil, le chien etait dehors, et l'instant d'apres, il etait de retour portant la princesse couchee sur son dos. Elle dormait et elle etait si gracieuse qu'en la voyant, chacun aurait reconnu que c'etait une vraie princesse. Le jeune homme n'y tint plus, il ne put s'empecher de lui donner un baiser car, lui, c'etait un vrai soldat.

Vite le chien courut ramener la jeune fille au chateau, mais le lendemain matin, comme le roi et la reine prenaient le the avec elle, la princesse leur dit qu'elle avait reve la nuit d'un chien et d'un soldat et que le soldat lui avait donne un baiser. Eh bien! en voila une histoire! dit la reine.

Une des vieilles dames de la cour recut l'ordre de veiller toute la nuit suivante aupres du lit de la princesse pour voir si c'etait vraiment un reve ou bien ce que cela pouvait etre!

Le soldat se languissait de revoir l'exquise princesse! Le chien revint donc la nuit, alla la chercher, courut aussi vite que possible… mais la vieille dame de la cour avait mis de grandes bottes et elle courait derriere lui et aussi vite. Lorsqu'elle les vit disparaitre dans la grande maison, elle pensa: «Je sais maintenant ou elle va «et, avec un morceau de craie, elle dessina une grande croix sur le portail. Puis elle rentra se coucher.

Le chien, en revenant avec la princesse, vit la croix sur le portail et traca des croix sur toutes les portes de la ville. Et ca, c'etait tres malin de sa part; ainsi la dame de la cour ne pourrait plus s'y reconnaitre.

Au matin, le roi, la reine, la vieille dame et tous les officiers sortirent pour voir ou la princesse avait ete.

– C'est la, dit le roi des qu'il apercut la premiere porte avec une croix.

– Non, c'est ici mon cher epoux, dit la reine en s'arretant devant la deuxieme porte.

– Mais voila une croix… en voila une autre, dirent-ils tous, il est bien inutile de chercher davantage.

Cependant, la reine etait une femme rusee, elle savait bien d'autres choses que de monter en carrosse. Elle prit ses grands ciseaux d'or et coupa en morceaux une piece de soie, puis cousit un joli sachet qu'elle remplit de farine de sarrasin tres fine. Elle attacha cette bourse sur le dos de sa fille et perca au fond un petit trou afin que la farine se repande tout le long du chemin que suivrait la princesse.

Le chien revint encore la nuit, amena la princesse sur son dos aupres du soldat qui l'aimait tant et qui aurait voulu etre un prince pour l'epouser. Mais le chien n'avait pas vu la farine repandue sur le chemin depuis le chateau jusqu'a la fenetre du soldat. Le lendemain, le roi et la reine n'eurent aucune peine a voir ou leur fille avait ete.

Le soldat fut saisi et jete dans un cachot lugubre!… Oh! qu'il y faisait noir!

– Demain, tu seras pendu, lui dit-on. Ce n'est pas une chose agreable a entendre, d'autant plus qu'il avait oublie son briquet a l'auberge.

Derriere les barreaux de fer de sa petite fenetre, il vit le matin suivant les gens qui se depechaient de sortir de la ville pour aller le voir pendre. Il entendait les roulements de tambours, les soldats defilaient au pas cadence. Un petit apprenti cordonnier courait a une telle allure qu'une de ses savates vola en l'air et alla frapper le mur pres des barreaux au travers desquels le soldat regardait.

– He! ne te presse pas tant. Rien ne se passera que je ne sois arrive. Mais si tu veux courir a l'auberge ou j'habitais et me rapporter mon briquet, je te donnerai quatre sous. Mais en vitesse.

Le gamin ne demandait pas mieux que de gagner quatre sous. Il prit ses jambes a son cou, trouva le briquet…

En dehors de la ville, on avait dresse un gibet autour duquel se tenaient les soldats et des centaines de milliers de gens. Le roi, la reine etaient assis sur de superbes trones et en face d'eux, les juges et tout le conseil.

Deja le soldat etait monte sur l'echelle, mais comme le bourreau allait lui passer la corde au cou, il demanda la permission-toujours accordee, dit-il a un condamne a mort avant de subir sa peine -d'exprimer un desir bien innocent, celui de fumer une pipe, la derniere en ce monde.

Le roi ne voulut pas le lui refuser et le soldat se mit a battre son briquet: une fois, deux fois, trois fois! et hop! voila les trois chiens: celui qui avait des yeux comme des soucoupes, celui qui avait des yeux comme des roues de moulin et celui qui avait des yeux grands chacun comme la Tour Ronde de Copenhague.

– Empechez-moi maintenant d'etre pendu! leur cria le soldat.

Alors les chiens sauterent sur les juges et sur tous les membres du conseil, les prirent dans leur gueule, l'un par les jambes, l'autre par le nez, les lancerent en l'air si haut qu'en tombant, ils se brisaient en mille morceaux.

– Je ne tolererai pas… commenca le roi.

Mais le plus grand chien le saisit ainsi que la reine et les lanca en l'air a leur tour.

Les soldats en etaient epouvantes et la foule cria:

– Petit soldat, tu seras notre roi et tu epouseras notre delicieuse princesse. On fit monter le soldat dans le carrosse royal et les trois chiens gambadaient devant en criant «bravo». Les jeunes gens sifflaient dans leurs doigts, les soldats presentaient les armes.

La princesse fut tiree de son chateau aux toits de cuivre et elle devint reine, ce qui lui plaisait beaucoup.

La noce dura huit jours, les chiens etaient a table et roulaient de tres grands yeux.

Ce que le Pere fait est bien fait

Cette histoire, je l'ai entendue dans mon enfance. Chaque fois que j'y pense, je la trouve plus interessante. Il en est des histoires comme de bien des gens: avec l'age, ils attirent de plus en plus l'attention. Vous avez certainement ete deja a la campagne, et vous avez vu de vieilles maisons de paysans.

Sur le toit de chaume, il y a des mauvaises herbes, de la mousse et un nid de cigognes. Ce sont les cigognes surtout qui ne doivent pas manquer. Les murs penchent, les fenetres sont basses et une seule peut s'ouvrir. Le four ressemble a un ventre rebondi, les branches d'un sureau tombent sur une haie, et le sureau se trouve a une mare ou nagent des canards. Il y a encore la un chien a l'attache, qui aboie apres tout le monde, sans distinction.

Dans une de ces maisons de paysans habitaient deux vieilles gens, un paysan et sa femme. Ils n'avaient presque rien, et pourtant ils se trouvaient avoir quelque chose de trop, un cheval, qu'ils laissaient paitre dans le fosse pres de la grand-route. Le paysan l'enfourchait pour aller a la ville, et de temps en temps le pretait a des voisins qui, en retour, lui rendaient quelques services.

Mais les vieux pensaient qu'il serait meilleur pour eux de vendre le cheval ou de l'echanger contre quelque objet plus utile. Mais contre quoi?

– Fais pour le mieux, mon vieux, disait la femme. Il y a une foire a la ville. Vas-y et vends le cheval, ou fais un echange; ce que tu feras sera bien fait.

La-dessus, elle lui fit un beau noeud au mouchoir qu'il avait autour du cou, bien mieux que lui-meme n'eut su le faire. Puis elle lissa son chapeau avec la main pour que la poussiere s'y attachat moins et l'embrassa. Le voila parti sur son cheval, pour le vendre ou l'echanger.

– Oui, oui, le vieux s'y entend, murmurait la vieille mere.

Le soleil brillait dans un ciel sans nuage. Il y avait beaucoup de poussiere sur la route, car il passait beaucoup de gens qui se rendaient au marche en voiture, a cheval ou a pied. Nulle ombre sur le chemin. Parmi ceux qui marchaient a pied, il y avait un homme qui poussait devant lui une vache. Le vieux pensait: