Contes merveilleux, Tome I, стр. 5

Et le bisaieul continua ainsi pendant longtemps jusqu'a ce qu'il arrivat a se facher completement, bien que Frederic finit par ne plus le contredire. Cette fois, ils se quitterent en se boudant presque; mais il n'en fut pas de meme lorsque Frederic s'embarqua pour l'Amerique ou il devait aller veiller a de grands interets de notre maison. La separation fut douloureuse; s'en aller si loin, au-dela de l'ocean, braver flots et tempetes.

– Tranquillise-toi, dit Frederic au bisaieul qui retenait ses larmes; tous les quinze jours vous recevrez une lettre de moi, et je te reserve une surprise. Tu auras de mes nouvelles par le telegraphe; on vient de terminer la pose du cable transatlantique. En effet, lorsqu'il s'embarqua en Angleterre, une depeche vint nous apprendre que son voyage se passait bien, et, au moment ou il mit le pied sur le nouveau continent, un message de lui nous parvint traversant les mers plus rapidement que la foudre.

– Je n'en disconviendrai pas, dit le bisaieul, cette invention renverse un peu mes idees; c'est une vraie benediction pour l'humanite, et c'est au Danemark qu'on a precisement decouvert la force qui agit ainsi. Je l'ai connu, Christian Oersted, qui a trouve le principe de l'electromagnetisme; il avait des yeux aussi doux, aussi profonds que ceux d'un enfant; il etait bien digne de l'honneur que lui fit la nature en lui laissant deviner un de ses plus intimes secrets.

Dix mois se passerent, lorsque Frederic nous manda qu'il s'etait fiance la-bas avec une charmante jeune fille; dans la lettre se trouvait une photographie. Comme nous l'examinames avec empressement! Le bisaieul prit sa loupe et la regarda longtemps.

– Quel malheur, s'ecria le bisaieul, qu'on n'ait pas depuis longtemps connu cet art de reproduire les traits par le soleil! Nous pourrions voir face a face les grands hommes de l'histoire. Voyez donc quel charmant visage; comme cette jeune fille est gracieuse! Je la reconnaitrai des qu'elle passera notre seuil.

Le mariage de Frederic eut lieu en Amerique; les jeunes epoux revinrent en Europe et atteignirent heureusement l'Angleterre d'ou ils s'embarquerent pour Copenhague. Ils etaient deja en face des blanches dunes du Jutland, lorsque s'eleva un ouragan; le navire, secoue, ballotte, tout fracasse, fut jete a la cote. La nuit approchait, le vent faisait toujours rage; impossible de mettre a la mer les chaloupes et on prevoyait que le matin le batiment serait en pieces.

Voila qu'au milieu des tenebres reluit une fusee; elle amene un solide cordage; les matelots s'en saisissent; une communication s'etablit entre les naufrages et la terre ferme. Le sauvetage commence et, malgre les vagues et la tempete, en quelques heures tout le monde est arrive heureusement a terre.

A Copenhague nous dormions tous bien tranquillement, ne songeant ni aux dangers, ni aux chagrins. Lorsque le matin la famille se reunit, joyeuse d'avance de voir arriver le jeune couple, le journal nous apprend, par une depeche, que la veille un navire anglais a fait naufrage sur la cote du Jutland. L'angoisse saisit tous les coeurs; mon pere court aux renseignements; il revient bientot encore plus vite nous apprendre que, d'apres une seconde depeche, tout le monde est sauve et que les etres cheris que nous attendons ne tarderont pas a etre au milieu de nous. Tous nous eclatames en pleurs; mais c'etaient de douces larmes; moi aussi, je pleurai, et le bisaieul aussi; il joignit les mains et, j'en suis sur, il benit notre age moderne. Et le meme jour encore il envoya deux cents ecus a la souscription pour le monument d'Oersted. Le soir, lorsque arriva Frederic avec sa belle jeune femme, le bisaieul lui dit ce qu'il avait fait; et ils s'embrasserent de nouveau. Il y a de braves coeurs dans tous les temps.

Le bonhomme de neige

Quel beau froid il fait aujourd'hui! dit le Bonhomme de neige. Tout mon corps en craque de plaisir. Et ce vent cinglant, comme il vous fouette agreablement! Puis, de l'autre cote, ce globe de feu qui me regarde tout beat!

Il voulait parler du soleil qui disparaissait a ce moment.

– Oh! il a beau faire, il ne m'eblouira pas! Je ne lacherai pas encore mes deux escarboucles.

Il avait, en effet, au lieu d'yeux, deux gros morceaux de charbon de terre brillant et sa bouche etait faite d'un vieux rateau, de telle facon qu'on voyait toutes ses dents. Le bonhomme de neige etait ne au milieu des cris de joie des enfants.

Le soleil se coucha, la pleine lune monta dans le ciel; ronde et grosse, claire et belle, elle brillait au noir firmament.

– Ah! le voici qui reapparait de l'autre cote, dit le Bonhomme de neige.

Il pensait que c'etait le soleil qui se montrait de nouveau.

– Maintenant, je lui ai fait attenuer son eclat. Il peut rester suspendu la-haut et paraitre brillant; du moins, je peux me voir moi-meme. Si seulement je savais ce qu'il faut faire pour bouger de place! J'aurais tant de plaisir a me remuer un peu! Si je le pouvais, j'irais tout de suite me promener sur la glace et faire des glissades, comme j'ai vu faire aux enfants. Mais je ne peux pas courir.

– Ouah! ouah! aboya le chien de garde.

Il ne pouvait plus aboyer juste et etait toujours enroue, depuis qu'il n'etait plus chien de salon et n'avait plus sa place sous le poele.

– Le soleil t'apprendra bientot a courir. Je l'ai bien vu pour ton predecesseur, pendant le dernier hiver. Ouah! ouah!

– Je ne te comprends pas, dit le Bonhomme de neige. C'est cette boule, la-haut (il voulait dire la lune), qui m'apprendra a courir? C'est moi plutot qui l'ai fait filer en la regardant fixement, et maintenant elle ne nous revient que timidement par un autre cote.

– Tu ne sais rien de rien, dit le chien; il est vrai aussi que l'on t'a construit depuis peu. Ce que tu vois la, c'est la lune; et celui qui a disparu, c'est le soleil. Il reviendra demain et, tu peux m'en croire, il saura t'apprendre a courir dans le fosse. Nous allons avoir un changement de temps. Je sens cela a ma patte gauche de derriere. J'y ai des elancements et des picotements tres forts.

– Je ne le comprends pas du tout, se dit a lui-meme le Bonhomme de neige, mais j'ai le pressentiment qu'il m'annonce quelque chose de desagreable. Et puis, cette boule qui m'a regarde si fixement avant de disparaitre, et qu'il appelle le soleil, je sens bien qu'elle aussi n'est pas mon amie.

– Ouah! ouah! aboya le chien en tournant trois fois sur lui-meme.

Le temps changea en effet. Vers le matin, un brouillard epais et humide se repandit sur tout le pays, et, un peu avant le lever du soleil, un vent glace se leva, qui fit redoubler la gelee. Quel magnifique coup d'oeil, quand le soleil parut! Arbres et bosquets etaient couverts de givre et toute la contree ressemblait a une foret de blanc corail. C'etait comme si tous les rameaux etaient couverts de blanches fleurs brillantes.

Les ramifications les plus fines, et que l'on ne peut remarquer en ete, apparaissaient maintenant tres distinctement. On eut dit que chaque branche jetait un eclat particulier, c'etait d'un effet eblouissant. Les bouleaux s'inclinaient mollement au souffle du vent; il y avait en eux de la vie comme les arbres en ont en plein ete. Quand le soleil vint a briller au milieu de cette splendeur incomparable, il sembla que des eclairs partaient de toutes parts, et que le vaste manteau de neige qui couvrait la terre ruisselait de diamants etincelants.

– Quel spectacle magnifique! s'ecria une jeune fille qui se promenait dans le jardin avec un jeune homme. Ils s'arreterent pres du Bonhomme de neige et regarderent les arbres qui etincelaient. Meme en ete, on ne voit rien de plus beau!

– Surtout on ne peut pas rencontrer un pareil gaillard! repondit le jeune homme en designant le Bonhomme de neige. Il est parfait!

– Qui etait-ce? demanda le Bonhomme de neige au chien de garde. Toi qui es depuis si longtemps dans la cour, tu dois certainement les connaitre?