Contes merveilleux, Tome I, стр. 46

Mercredi

Oh! comme la pluie tombait au-dehors. Hjalmar l'entendait meme dans son sommeil et quand Ole Ferme-l'oeil entrouvrit une fenetre, il vit que l'eau montait jusqu'au ras du chambranle. Un vrai lac. Mais un magnifique navire mouillait devant la maison.

– Viens-tu avec nous, petit Hjalmar? dit Ole Ferme-l'oeil. Tu pourras voyager cette nuit dans les pays etrangers et etre de retour demain matin.

Et voila Hjalmar, dans son costume du dimanche, debout sur le magnifique navire.

Le temps devint aussitot radieux. Ils naviguerent de par les rues, croiserent devant l'eglise et bientot ils furent en pleine mer. On alla si loin qu'on ne voyait plus aucune terre, mais seulement une troupe de cigognes qui venaient aussi du Danemark et allaient vers les pays chauds. Elles se suivaient l'une derriere l'autre et avaient deja vole si longtemps, si longtemps! L'une d'elles etait tres fatiguee, ses ailes ne pouvaient plus la porter, elle etait la derniere de la file. Bientot elle fut loin derriere les autres, elle volait de plus en plus bas, donna encore quelques faibles coups d'ailes, mais en vain, elle toucha de ses pieds le cordage du bateau, glissa le long de la voile et poum! la voila sur le pont.

Le mousse la prit et l'enferma dans le poulailler avec les poules, les canards et les dindons; la pauvre cigogne etait toute confuse de cette compagnie.

– En voila un drole d'oiseau, dirent les poules.

– Nous sommes bien tous d'accord, elle est stupide.

– Bien sur, elle est stupide, gloussa le dindon.

Alors la cigogne se tut et reva de son Afrique.

– Comme vous avez la de jolies longues jambes maigres, dit la dinde. Combien en vaut l'une?

– Coin, coin, coin, ricanaient les canards.

Mais la cigogne fit celle qui n'a rien entendu.

– Vous pourriez bien rire avec nous, dit le dindon, car c'etait tres spirituel ou bien peut-etre n'etait-ce pas d'un gout assez releve pour vous, si haut perchee! Glouglou, madame n'aime pas la plaisanterie. Alors, soyons spirituels entre nous.

Et les poules de glousser et les canards de cancaner. Coin! Coin! Coin! C'etait extraordinaire comme ils se trouvaient droles.

Mais Hjalmar alla droit au poulailler, ouvrit la porte, appela la cigogne qui sautilla sur le pont jusqu'a lui; elle s'etait reposee et saluait Hjalmar comme pour le remercier, puis elle etendit ses ailes et s'envola vers les pays chauds tandis que les poules gloussaient, que les canards faisaient coin, coin, et que la tete du dindon devenait toute rouge.

– Demain on fera une soupe de vous tous, disait Hjalmar et il s'eveilla, couche dans son petit lit.

C'etait un voyage extraordinaire qu'Ole Ferme-l'oeil lui avait fait faire…

Jeudi

– Attends! dit Ole Ferme-l'oeil, n'aie pas peur, tu vas voir une petite souris.

Et il tendit vers lui sa main ou etait assise la jolie petite bete. Elle est venue t'inviter au mariage de deux petites souris qui vont entrer en menage cette nuit. Elles habitent sous le garde-manger de ta mere, il parait que c'est un appartement incomparable.

– Mais comment pourrai-je passer dans le petit trou de souris du parquet? demanda Hjalmar.

– Laisse-moi faire! dit Ole Ferme-l'oeil, je vais te rendre tout petit.

De sa seringue magique il toucha Hjalmar qui aussitot devint de plus en plus petit jusqu'a n'etre pas plus grand qu'un doigt.

– Maintenant tu peux emprunter ses vetements au soldat de plomb, je crois qu'ils t'iront bien.

– Allons-y, fit Hjalmar.

Et en un instant le voila habille comme le plus mignon petit soldat de plomb.

– Voulez-vous avoir la bonte de vous asseoir dans le de a coudre de votre mere, dit la souris, j'aurai l'honneur de vous tirer.

– Mon Dieu, mademoiselle, allez-vous prendre cette peine? dit Hjalmar.

Et les voila partis au mariage de souris.

D'abord, ils passerent sous le parquet dans un long couloir, juste assez haut pour que l'attelage du de a coudre put y passer.

– Est-ce que ca ne sent pas bon ici? dit la souris, tout le couloir a ete enduit de couenne, on ne peut pas faire mieux.

Puis ils arriverent dans la salle du mariage. A droite se tenaient toutes les souris femelles; elles susurraient et chuchotaient comme si elles se moquaient les unes des autres, a gauche se tenaient les males, ils se lissaient la moustache avec leur patte. Au milieu de la salle se tenaient les maries, debout dans une croute de fromage evidee, et ils s'embrassaient a bouche que veux-tu, devant tout le monde, puisqu'ils etaient fiances et allaient se marier dans un instant.

Il arrivait de plus en plus d'invites et les souris etaient serrees a s'ecraser, les maries etaient places au beau milieu de la porte, de sorte qu'on ne pouvait ni entrer ni sortir. La salle etant frottee a la couenne, on n'offrait rien d'autre a manger, mais comme dessert on apporta un pois dans lequel une souris de la famille avait, de ses petites dents, grave le nom des maries ou du moins leurs initiales. C'etait tout a fait splendide.

Toutes les souris furent d'accord pour dire que c'etait un beau mariage.

Vendredi

– C'est inoui combien de gens d'un certain age voudraient m'avoir aupres d'eux, dit Ole Ferme-l'oeil, surtout ceux qui ont quelque chose a se reprocher.» Mon bon petit Ole, me disent-ils, nous ne pouvons nous endormir et toute la nuit nous sommes la a voir defiler nos mauvaises actions qui comme d'affreux petits demons s'asseyent sur notre lit et nous aspergent d'eau bouillante. Ne voudrais-tu pas venir les chasser que nous puissions dormir d'un bon somme?» Ils soupirent et ajoutent tout bas: «Nous te paierons bien. Bonsoir Ole, l'argent est sur le bord de la fenetre». Mais je ne fais pas ca pour de l'argent, terminait Ole Ferme-l'oeil.

– Qu'est-ce qui va arriver cette nuit? demanda Hjalmar.

– Eh bien! je ne sais pas si tu as envie de venir encore ce soir a un mariage d'un tout autre genre que celui d'hier. La grande poupee de ta soeur, celle qui a l'air d'un homme et qu'on appelle Hermann va epouser la poupee Bertha, c'est d'ailleurs l'anniversaire de la poupee, il y aura donc beaucoup de cadeaux.

– Oui, je connais ca! dit Hjalmar, quand les poupees ont besoin de robes neuves, ma soeur decide que c'est leur anniversaire ou qu'elles se marient. C'est arrive plus de cent fois.

– Oui, mais cette nuit, c'est le cent unieme mariage et quand le cent unieme est termine, tout est fini. C'est pourquoi celui-ci sera splendide. Regarde un peu!

Hjalmar regarda vers la table, la petite maison de carton etait la avec ses fenetres eclairees et tous les soldats de plomb presentaient armes. Les couples de fiances etaient assis par terre, le dos appuye au pied de la table, tres songeurs, et ils avaient sans doute pour cela de bonnes raisons. Ole Ferme-l'oeil, vetu de la jupe noire de grand-mere, les benit. Apres la benediction tous les meubles de la chambre entonnerent la jolie chanson que voici, ecrite par le crayon sur l'air de la retraite:

Notre chanson arrive comme le vent Sur le couple nuptial dans la chambre Tous deux raides comme des baguettes Ils sont faits de peau de gants Bravo, bravo pour la peau et les baguettes Nous le chantons a tous les vents.

Puis on leur offrit tous les cadeaux, ils avaient demande qu'il n'y eut rien de comestible car leur amour leur suffisait.

– Allons-nous rester dans le pays ou voyager a l'etranger? demanda le marie. Ils prirent conseil de l'hirondelle qui avait beaucoup voyage et de la vieille poule de la basse-cour qui avait couve cinq fois des poussins.

L'hirondelle parla des pays chauds ou le raisin pend en grandes et lourdes grappes, ou l'air est doux et ou les montagnes ont des couleurs qu'on ne connait pas du tout ici.