Contes merveilleux, Tome I, стр. 27

Elisa partit donc, mais le roi et l'archeveque la suivaient; ils la virent disparaitre a la grille du cimetiere et, quand eux-memes s'en approcherent, ils virent les affreuses sorcieres assises sur la dalle comme Elisa les avait vues. Alors le roi s'en retourna, il se la figurait parmi les sorcieres, elle dont la tete avait, ce meme soir, repose sur sa poitrine.

– C'est le peuple qui la jugera, dit-il.

Le peuple la condamna, elle devait etre brulee vive.

Arrachee aux magnifiques salons royaux, Elisa fut jetee dans un cachot sombre et humide ou le vent soufflait a travers les barreaux de la fenetre; au lieu du velours et de la soie, on lui donna, pour poser sa tete, la botte d'orties qu'elle avait cueillie, les rudes cottes de mailles brulantes qu'elle avait tricotees devaient lui servir de couvertures et de couette, mais aucun present ne pouvait lui etre plus cher. Elle se remit a son ouvrage en priant Dieu.

Vers le soir elle entendit un bruissement d'ailes de cygnes devant les barreaux: c'etait le plus jeune des freres qui l'avait retrouvee. Alors elle sanglota de joie et pourtant elle savait que cette nuit serait sans doute la derniere de sa vie. Mais maintenant, l'ouvrage etait presque acheve et ses freres etaient la…

L'archeveque arriva pour passer les heures ultimes avec elle-il l'avait promis au roi-mais elle, secouant la tete, le pria par ses regards et sa mimique de s'en aller, cette nuit meme il fallait que son travail fut termine, sinon tout aurait ete inutile, sa douleur, ses larmes et ses nuits sans sommeil. L'archeveque la quitta sur quelques mechantes paroles, mais continua sa besogne.

Les petites souris couraient sur le plancher et trainaient des orties jusqu'a ses pieds afin de l'aider de leur mieux, et un merle se posa devant la fenetre et siffla toute la nuit pour qu'elle ne perdit pas courage.

Ce n'etait pas encore l'aube-le soleil ne se leverait qu'une heure plus tard-quand les onze freres se presenterent au portail du chateau. Ils demandaient qu'on les mene aupres du souverain mais on leur repondit que c'etait tout a fait impossible. Sa Majeste dormait et nul n'eut ose le reveiller. Ils supplierent, ils menacerent jusqu'a ce que le garde parut et le roi lui-meme. A cet instant, le soleil se leva, plus de freres, mais au-dessus du palais, onze cygnes sauvages volaient a tire-d'aile.

Maintenant la foule se pressait, tout le peuple voulait voir bruler la sorciere. Une vieille haridelle trainait la charrette ou on l'avait assise vetue d'une blouse de grosse toile, ses cheveux tombaient autour de son visage d'une mortelle paleur, ses levres remuaient doucement tandis que ses doigts tordaient le lin vert. Meme sur le chemin de la mort, elle n'abandonnerait pas l'oeuvre commencee, dix cottes de mailles etaient posees a ses pieds, elle tricotait la onzieme.

– Voyez la sorciere, qu'est-ce qu'elle marmonne? Elle n'a bien sur pas de livre de psaumes dans les mains, mais bien toutes ses sorcelleries; arrachez-lui ca, mettez tout en pieces.

Ils se ruaient et se pressaient pour l'atteindre, mais voici venir par les airs onze cygnes blancs, ils se poserent autour d'elle dans la charrette en battant de leurs larges ailes. La foule, epouvantee, recula.

– C'est un avertissement du ciel, elle est innocente, murmurait-on tout bas.

Deja le bourreau saisissait sa main, alors en toute hate elle jeta les onze cottes de mailles sur les cygnes, et a leur place parurent onze princes delicieux, le plus jeune avait une aile de cygne a la place d'un de ses bras, car il manquait encore une manche a la derniere tunique qu'elle n'avait pu terminer.

– Maintenant j'ose parler, s'ecria-t-elle, je suis innocente.

Et le peuple, ayant vu le miracle, s'inclina devant elle comme devant une sainte, mais elle tomba inanimee dans les bras de ses freres, brisee par l'attente, l'angoisse et la douleur.

– Oui, elle est innocente! dit l'aine des freres.

Il raconta tout ce qui etait arrive et, tandis qu'il parlait, un parfum se repandait comme des millions de roses. Chaque morceau de bois du bucher avait pris racine et des branches avaient pousse formant un grand buisson de roses rouges. A sa cime, une fleur blanche resplendissait de lumiere comme une etoile, le roi la cueillit et la posa sur la poitrine d'Elisa. Alors elle revint a elle.

Toutes les cloches des eglises se mirent a sonner d'elles-memes et les oiseaux arriverent, volant en grandes troupes. Le retour au chateau fut un nouveau cortege nuptial comme aucun roi au monde n'en avait jamais vu.

Le dernier reve du chene

Au sommet de la falaise haute et ardue, en avant de la foret qui arrivait jusqu'aux bords de la mer, s'elevait un chene antique et seculaire. Il avait justement atteint trois cent soixante-cinq ans; on ne l'aurait jamais cru en voyant son apparence robuste.

Souvent, par les beaux jours d'ete, les ephemeres venaient s'ebattre et tourbillonner gaiement autour de sa couronne; une fois, une de ces petites creatures, apres avoir voltige longuement au milieu d'une joyeuse ronde, vint se reposer sur une des belles feuilles du chene.

– Pauvre mignonne! dit l'arbre, ta vie entiere ne dure qu'un jour. Que c'est peu! Comme c'est triste!

– Triste! repondit le gentil insecte, que signifie donc ce mot que j'entends parfois prononcer? Le soleil reluit si merveilleusement! l'air est si bon, si doux! je me sens tout transporte de bonheur.

– Oui, mais dans quelques heures, ce sera fini; tu seras trepasse.

– Trepasse? s'ecria l'ephemere. Qu'est-ce encore que ce mot? Toi, es-tu aussi trepasse?

– Non, j'ai deja vecu bien des milliers de jours; nos journees ce sont, a dire vrai, des saisons entieres. Mais comment te faire comprendre cela? C'est une telle longueur de temps que cela doit depasser tout ce que tu peux imaginer.

– En effet, je ne me figure pas bien, reprit l'insecte, ce que cela peut durer, mille jours. N'est-ce pas ce qu'on appelle l'eternite? En tout cas, si tu vis si longtemps, mon existence compte deja mille moments ou j'ai ete joyeux et heureux. Et, quand tu mourras, est-ce que tout ce bel univers perira en meme temps?

– Non certes, repliqua le chene, il durera bien plus longtemps que moi; a mon tour, je ne puis me le figurer.

– Eh bien! alors nous en sommes au meme point, sauf que nous calculons d'une facon differente.

Et l'ephemere reprit sa danse folle et s'elanca dans les airs, s'amusant de l'eclat de ses ailes transparentes qui brillaient comme le plus beau satin; il respirait a pleins poumons l'air embaume par les senteurs de l'eglantier, des chevrefeuilles, du sureau, de la menthe et par l'odeur du foin coupe; et l'insecte se sentait comme enivre, a force de respirer ces parfum. La journee continua a etre splendide; l'ephemere se reposa encore plusieurs fois pour recommencer a tournoyer en ronde avec ses compagnons. Le soleil commenca a baisser et l'insecte se sentit un peu fatigue de toute cette gaiete; ses ailes faiblissaient, et tout lentement il glissa le long du chene jusque sur le doux gazon. Il vint a choir sur la feuille d'une paquerette, et souleva encore une fois sa petite tete pour embrasser d'un regard la campagne riante et la mer bleue. Puis ses yeux se fermerent; un doux sommeil s'empara de lui: c'etait la mort.

Le lendemain, le chene vit renaitre d'autres ephemeres; il s'entretint avec eux aussi et il les vit de meme danser, folatrer joyeusement et s'endormir paisiblement en pleine felicite. Ce spectacle se repeta souvent; mais l'arbre ne le comprenait pas bien; il avait cependant le temps de reflechir: car si, chez nous autres hommes, nos pensees sont interrompues tous les jours par le sommeil, le chene, lui, ne dort qu'en hiver; pendant les autres saisons, il veille sans cesse. Le temps approchait ou il allait se reposer; l'automne etait a sa fin. Deja les taupes commencaient leur sabbat. Les autres arbres etaient deja depouilles, et le chene aussi perdait tous les jours de ses feuilles.