Contes merveilleux, Tome I, стр. 15

– «Avec ces sabots, dit-il, je ne pourrais vous suivre assez vite. Et, de plus, il me semble que la cloche doit etre a droite; n'est-ce pas la la place reservee a tout ce qui est magnifique et excellent?

– Je crains bien qu'alors nous ne nous rencontrions plus», dit le fils du roi, et il fit un gracieux signe d'adieu au pauvre garcon qui s'enfonca au plus epais de la foret, ou les epines ecorcherent son visage et dechirerent sa jaquette, a laquelle il tenait quelque minable qu'elle fut, parce qu'il n'en avait point d'autre. Le fils du roi rencontra aussi bien des obstacles; il fit quelques chutes et eut les mains en sang; mais il etait brave.» J'irai jusqu'au bout du monde, s'il le faut, se dit-il; mais je trouverai la cloche.» Tout a coup, il apercut juches dans les arbres une bande de vilains singes qui lui firent d'affreuses grimaces et l'assourdirent de leurs cris discordants.» Battons-le, rossons-le, se disaient-ils; c'est un fils de roi, mais il est seul.» Lui s'avancait toujours, et ils n'oserent pas l'attaquer. Bientot il fut recompense de ses peines. Il arriva sur une hauteur d'ou il apercut un merveilleux spectacle. D'un cote, les plus belles pelouses vertes ou s'ebattaient des cerfs et des daims; de place en place, de vastes touffes de lis, d'une blancheur eclatante, et de tulipes rouges, bleues et or; au milieu, des boules de neige et autres arbustes dont les fleurs aux mille couleurs brillaient au soleil comme des bulles de savon; tout autour, des chenes et des hetres seculaires s'etendaient en cercle; dans le fond, un grand lac sur lequel nageaient avec majeste les plus beaux cygnes. Le fils du roi s'etait arrete et restait en extase; il entendit de nouveau la cloche; elle ne paraissait pas bien eloignee. Il crut d'abord qu'elle etait pres du lac, il ecouta avec attention; non, le son ne venait pas de la. Le soleil approchait de son declin; le ciel etait tout rouge, comme enflamme; un grand silence se fit. Le fils du roi se mit a genoux et dit sa priere du soir.» Oh! Dieu, dit-il, ne me ferez-vous pas trouver ce que je cherche avec tant d'ardeur? Voila la nuit, la sombre nuit. Mais je vois la-bas un rocher eleve, qui depasse les cimes des arbres les plus hauts. Je vais y monter; peut-etre, avant que le soleil disparaisse de l'horizon, atteindrai-je le but de mes efforts.» Et, s'accrochant aux racines, aux branches, aux angles des roches, au milieu des couleuvres, des crapauds et autres vilaines betes, il grimpa et il arriva au sommet, haletant, epuise. Quelle splendeur se decouvrit a ses yeux! La mer, la mer immense et magnifique s'etendait a perte de vue, roulant ses longues vagues contre la falaise. A l'horizon, le soleil, pareil a un globe de feu, couvrait de flammes rouges le ciel qui semblait s'etendre comme une vaste coupole sur ce sanctuaire de la nature; les arbres de la foret en etaient les piliers; les pelouses fleuries formaient comme un riche tapis couvrant le choeur. Le soleil disparut lentement; des millions de lumieres etincelerent bientot au firmament, la lune parut, et le spectacle etait toujours grandiose et emouvant. Le fils du roi s'agenouilla et adora le createur de ces merveilles. Voila que sur la droite, apparait le pauvre garcon aux sabots; lui aussi, a sa facon, il avait trouve le chemin du temple. Tous deux, ils se saisirent par la main et resterent perdus dans l'admiration de toute cette poesie enivrante. Et, de toutes parts, ils se sentaient entoures des sons de la cloche divine; c'etaient les bruits des vagues, des arbres, du vent; c'etait le mouvement qui animait cette nature simple et grandiose. Au-dessus d'eux, ils croyaient entendre les alleluias des anges du ciel.

Le compagnon de route

Le pauvre Johannes etait tres triste, son pere etait tres malade et rien ne pouvait le sauver. Ils etaient seuls tous les deux dans la petite chambre, la lampe, sur la table, allait s'eteindre, il etait tard dans la soiree.

– Tu as ete un bon fils! dit le malade. Notre-Seigneur t'aidera surement a faire ta vie.

Il le regarda de ses yeux graves et doux, respira profondement et mourut: on aurait dit qu'il dormait. Mais Johannes pleurait, il n'avait plus personne au monde maintenant, ni pere, ni mere, ni soeur, ni frere. Pauvre Johannes! Agenouille pres du lit, il baisait la main de son pere, pleurait encore amerement mais a la fin ses yeux se fermerent et il s'endormit la tete contre le dur bois du lit.

Alors il fit un reve etrange, il voyait le soleil et la lune s'incliner devant lui et il voyait son pere, frais et plein de sante, il l'entendait rire comme il avait toujours ri quand il etait de tres bonne humeur. Une ravissante jeune fille portant une couronne sur ses beaux cheveux longs lui tendait la main et son pere lui disait:

– Tu vois, Johannes, voici ta fiancee, elle est la plus charmante du monde.

Il s'eveilla et toutes ces beautes avaient disparu, son pere gisait mort et glace dans le lit, personne n'etait aupres d'eux, pauvre Johannes!

La semaine suivante le pere fut enterre. Johannes suivait le cercueil, il ne pourrait plus jamais voir ce bon pere qui l'aimait tant, il entendait les pelletees de terre tomber sur la biere dont il n'apercevait plus qu'un dernier coin, a la pelletee suivante elle avait entierement disparu, il lui sembla que son coeur allait se briser tant il avait de chagrin. Autour de lui on chantait un cantique si beau que les yeux de Johannes se mouillerent encore de larmes. Il pleura et cela lui fit du bien. Le soleil brillait sur les arbres verdoyants comme s'il voulait lui dire:

– Ne sois pas si triste, Johannes, vois comme le ciel bleu est beau, c'est la-haut qu'est ton pere et il prie le Bon Dieu que tout aille toujours bien pour toi.

«Je serai toujours bon! pensa Johannes, afin de monter au ciel aupres de mon pere, quelle joie ce sera de nous revoir.

Johannes se representait cette felicite si nettement qu'il en souriait.

Dans les marronniers les oiseaux gazouillaient. Quiqui! Quiqui! Ils etaient gais quoique ayant assiste a l'enterrement parce qu'ils savaient bien que le mort etait maintenant la-haut dans le ciel, qu'il avait des ailes bien plus belles et plus grandes que les leurs et qu'il etait un bienheureux pour avoir toujours vecu dans le bien-et les petits oiseaux s'en rejouissaient. Johannes les vit quitter les arbres a tire-d'aile et s'en aller dans le vaste monde, il eut une grande envie de s'envoler avec eux. Mais auparavant il tailla une grande croix de bois pour la placer sur la tombe et quand vers le soir il l'y apporta, la tombe avait ete sablee et plantee de fleurs par des etrangers qui avaient voulu marquer ainsi leur attachement a son cher pere qui n'etait plus.

De bonne heure le lendemain Johannes fit son petit baluchon, cacha dans sa ceinture tout son heritage-une cinquantaine de riksdalers et quelques skillings d'argent-avec cela il voulait parcourir le monde. Mais il se rendit d'abord au cimetiere et devant la tombe de son pere recita son Pater et dit:

– Au revoir, mon pere bien-aime! Je te promets d'etre toujours un homme de devoir, ainsi tu peux prier le Bon Dieu que tout aille bien pour moi.

Dans la campagne ou marchait Johannes, les fleurs dressaient leurs tetes fraiches et gracieuses que la brise caressait. Elles semblaient dire au jeune homme:

– Sois le bienvenu dans la verdure de la campagne. N'est-ce pas joli, ici?

Sur la route, Johannes se retourna pour voir encore une fois la vieille eglise ou, petit enfant, il avait ete baptise, ou chaque dimanche avec son pere il avait chante des psaumes et alors, tout en haut dans les ajours du clocher, il apercut le petit genie de l'eglise coiffe de son bonnet rouge pointu. Il s'abritait les yeux du soleil avec son bras replie. Johannes lui fit un signe d'adieu et le petit genie agita son bonnet rouge, mit la main sur son coeur et lui envoya de ses doigts mille baisers.