Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen (illustre), стр. 11

«Bonne chance! bonne chance, chasseur! lui criai-je; mais sur quoi tires-tu? Je ne vois rien que le bleu du ciel.

– Oh! repondit-il, j’essaye cette carabine qui me vient de chez Kuchenreicher, de Ratisbonne. Il y avait la-bas, sur la fleche de Strasbourg, un moineau que je viens d’abattre.»

Ceux qui connaissent ma passion pour les nobles plaisirs de la chasse ne s’etonneront pas si je leur dis que je sautai au cou de cet excellent tireur. Je n’epargnai rien pour le prendre a mon service: cela va de soi.

Nous poursuivimes notre voyage et nous atteignimes enfin le mont Liban. La nous trouvames, devant une grande foret de cedres, un homme court et trapu, attele a une corde qui enveloppait toute la foret.

«Qu’est-ce que tu tires la, mon ami? demandai-je a ce drole.

– J’etais venu pour couper du bois de construction, et, comme j’ai oublie ma hache a la maison, je tache de me tirer du mieux que je puis.»

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En disant cela, il abattit d’un seul coup toute la foret, qui mesurait bien un mille carre, comme si c’eut ete un bouquet de roseaux. Vous devinez facilement ce que je fis. J’eusse sacrifie mon traitement d’ambassadeur, plutot que de laisser echapper ce gaillard-la.

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Au moment ou nous mimes le pied sur le territoire egyptien, il s’eleva un ouragan si formidable que j’eus un instant peur d’etre renverse avec mes equipages, mes gens et mes chevaux, et d’etre emporte dans les airs. A gauche de la route il y avait une file de sept moulins dont les ailes tournaient aussi vite que le rouet de la plus active fileuse. Non loin de la se trouvait un personnage d’une corpulence digne de John Falstaff, et qui tenait son index appuye sur sa narine droite. Des qu’il eut apercu notre detresse et vu comme nous nous debarrions miserablement dans l’ouragan, il se tourna vers nous, et tira respectueusement son chapeau avec le geste d’un mousquetaire qui se decouvre devant son colonel. Le vent etait tombe comme par enchantement, et les sept moulins restaient immobiles. Fort surpris de cette circonstance qui ne me semblait pas naturelle, je criai a l’homme:

«He! drole! qu’est-ce la? As-tu le diable au corps, ou es-tu le diable en personne?

– Pardonnez-moi, Excellence, repondit-il; je fais un peu de vent pour mon maitre le meunier; de peur de faire tourner ses moulins trop fort, je m’etais bouche une narine.»

«Parbleu, me dis-je a moi-meme, voila un precieux sujet: ce gaillard-la te servira merveilleusement, lorsque, de retour chez toi, l’haleine te manquera pour raconter les aventures extraordinaires qui te seront arrivees dans tes voyages.»

Nous eumes bientot conclu notre marche. Le souffleur quitta ses moulins et me suivit.

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Il etait temps que nous arrivassions au Caire. Des que j’y eus accompli ma mission selon mes desirs, je resolus de me defaire de ma suite, maintenant inutile, a l’exception de mes nouvelles acquisitions, et de m’en retourner seul avec ces derniers, en simple particulier. Comme le temps etait magnifique et le Nil plus admirable qu’on ne peut le dire, j’eus la fantaisie de louer une barque et de remonter jusqu’a Alexandrie. Tout alla pour le mieux jusqu’au milieu du troisieme jour.

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Vous avez sans doute entendu parler, messieurs, des inondations annuelles du Nil. Le troisieme jour, comme je viens de vous le dire, le Nil commenca a monter avec une extreme rapidite, et le lendemain toute la campagne etait inondee sur plusieurs milles de chaque cote. Le cinquieme jour, apres le coucher su soleil, ma barque s’embarrassa dans quelque chose que je pris pour des roseaux. Mais le lendemain matin, quand il fit jour, nous nous trouvames entoures d’amandiers charges de fruits parfaitement murs et excellents a manger. La sonde nous indiqua soixante pieds au-dessus du fond: il n’y avait moyen ni de reculer, ni d’avancer. Vers huit ou neuf heures, autant que j’en pus juger d’apres la hauteur du soleil, il survint une rafale qui coucha notre bateau sur le cote: il embarqua une masse d’eau et coula presque immediatement.

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Heureusement nous reussimes a nous sauver tous – nous etions huit hommes et deux enfants -, en nous accrochant aux arbres dont les branches, assez fortes pour nous soutenir, ne l’etaient pas assez pour supporter notre barque. Nous restames trois jours dans cette position, vivant exclusivement d’amandes; je n’ai pas besoin de vous dire que nous avions en abondance de quoi apaiser notre soif. Vingt-trois jours apres notre accident, l’eau commenca a baisser avec autant de rapidite qu’elle avait monte, et le vingt-sixieme jour nous pumes mettre pied a terre. Le premier objet qui frappa nos yeux fut notre barque. Elle gisait environ a deux cents toises de l’endroit ou elle avait coule bas. Apres avoir fait secher au soleil nos affaires qui en avaient grand besoin, nous primes dans les provisions de la barque ce qui nous etait necessaire, et nous nous remimes en marche pour retrouver notre route. D’apres les calculs les plus exacts, je comptai que nous avions ete entraines dans les terres a plus de cinquante milles hors de notre chemin. Au bout de sept jours nous atteignimes le fleuve qui etait rentre dans son lit, et racontames notre aventure a un bey. Il pourvut a tous nos besoins avec une extreme courtoisie, et mit sa propre barque a notre disposition. Six journees de voyage nous amenerent a Alexandrie, ou nous nous embarquames pour Constantinople. Je fus recu avec une distinction particulierement gracieuse par le Grand Seigneur, et j’eus j’honneur de voir le harem ou sa Hautesse me conduisit elle-meme et me permit de choisir autant de dames que je voudrais, sans en excepter ses favorites. N’ayant pas coutume de me vanter de mes aventures galantes, je termine ici ma narration, en vous souhaitant a tous une bonne nuit.

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CHAPITRE XI Sixieme aventure de mer.

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Ayant termine le recit de son voyage en Egypte, le baron se disposa a aller se coucher, juste au moment ou l’attention legerement fatiguee de son auditoire se reveillait a ce mot de harem. On aurait bien voulu avoir des details sur cette partie de ses aventures, mais le baron fut inflexible; cependant, pour satisfaire aux bruyantes insistances de ses amis, il consentit a leur raconter quelques traits de ses singuliers domestiques, et continua en ces termes:

Depuis mon retour d’Egypte, je faisais la pluie et le beau temps chez le Grand Seigneur. Sa Hautesse ne pouvait vivre sans moi, et me priai tous les jours a souper et a diner chez lui. Je dois avouer, messieurs, que l’empereur des Turcs est de tous les potentats du monde celui qui fait la meilleure chere, quant au manger du moins; car, pour ce qui est de la boisson, vous savez que Mahomet interdit le vin a ses fideles. Il ne faut donc pas songer a boire un bon verre de ce liquide quand on dine chez un Turc. Mais pour ne pas se pratiquer ouvertement, la chose n’en a pas moins lieu frequemment en secret; et en depit du Coran, plus d’un Turc s’entend aussi bien qu’aucun prelat allemand a vider une bouteille. C’etait le cas de Sa Hautesse.