Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen, стр. 8

Apres avoir repare notre batiment, qui n’avait pas peu souffert de la tourmente, et pris conge des nouveaux souverains, nous mimes a la voile par un vent favorable, et, au bout de six semaines, nous fumes a Ceylan.

Quinze jours environ apres notre arrivee, le fils aine de gouverneur me proposa d’aller a la chasse avec lui, ce que j’acceptai de grand c?ur. Mon ami etait grand et fort, habitue a la chaleur du climat; mais moi, je ne tardai pas, quoique je ne me fusse pas beaucoup remue, a etre si accable, que, lorsque nous arrivames en foret, je me trouvai en arriere de lui.

Je me disposai a m’asseoir, pour prendre quelque repos, au bord d’une riviere qui depuis quelque temps attirait mon attention, lorsqu’il se fit tout a coup un grand bruit derriere moi. Je me retournai et restai comme petrifie en apercevant un enorme lion qui se dirigeait sur moi, et me donnait a entendre qu’il desirait vivement dejeuner de ma pauvre personne, sans m’en demander la permission. Mon fusil etait charge a petit plomb. Je n’avais ni le temps ni la presence d’esprit necessaires pour reflechir longuement; je resolus donc de faire feu sur la bete, sinon pour la blesser, du moins pour l’effrayer. Mais au moment ou je le visai, l’animal devinant sans doute mes intentions, devint furieux et s’elanca sur moi. Par instinct plutot que par raisonnement, j’essayai une chose impossible, c’est-a-dire de fuir. Je me retourne et – j’en frissonne encore rien que d’y penser! – je vois a quelques pas devant moi un monstrueux crocodile, qui ouvrait deja formidablement sa gueule pour m’avaler.

Representez-vous, messieurs, l’horreur de ma situation: par-derriere, le lion; par-devant, le crocodile; a gauche, une riviere rapide; a droite, un precipice hante, comme je l’appris plus tard par des serpents venimeux!

Etourdi, stupefie – Hercule lui-meme l’eut ete dans une pareille circonstance -, je tombai a terre. La seule pensee qui occupait mon ame etait l’attente du moment ou je sentirais la pression des dents du lion furieux, ou bien l’etreinte des machoires du crocodile. Mais au bout de quelques secondes j’entendis un bruit violent et etrange, quoique je n’eprouvasse aucune douleur. Je leve doucement la tete et je vois, a ma grande joie, que le lion, emporte par l’elan qu’il avait pris pour se jeter sur moi, etait tombe juste dans la gueule du crocodile. Sa tete avait penetre jusque dans le gosier de l’autre bete, et il faisait de vains efforts pour se degager. Je me relevai aussitot, tirai mon coutelas, et d’un coup je tranchai la tete du lion, dont le corps vint rouler a mes pieds; puis, avec la crosse de mon fusil, j’enfoncai sa tete aussi avant que je pus dans le gosier du crocodile, qui ne tarda pas a etouffer miserablement.

Quelques instants apres que j’eus remporte cette eclatante victoire sur ces deux terribles ennemis, mon camarade arriva, inquiet de mon absence. Il me felicita chaudement, et nous mesurames le crocodile: il comptait quarante pieds de Paris et sept pouces de long.

Des que nous eumes raconte cette aventure extraordinaire au gouverneur, il envoya un chariot avec des gens pour chercher les deux animaux. Un pelletier de l’endroit me fit avec la peau du lion un certain nombre de blagues a tabac, dont je distribuai une partie a mes connaissances a Ceylan. Celles qui me restaient, j’en fis hommage plus tard aux bourgmestres d’Amsterdam qui voulurent absolument me faire en retour un cadeau de mille ducats, que j’eus toutes les peines du monde a refuser.

La peau du crocodile fut empaillee suivant la methode ordinaire et fait aujourd’hui le plus bel ornement du Museum d’Amsterdam, dont le gardien raconte mon histoire a chaque visiteur. Je dois dire cependant qu’il y ajoute plusieurs details de son invention, qui offensent gravement la verite et la vraisemblance. Par exemple, il dit que le lion a traverse le crocodile dans toute sa longueur, et qu’au moment ou il sortait par le cote oppose a celui par lequel il etait entre, monsieur l’illustrissime baron – c’est ainsi qu’il a coutume de m’appeler – avait coupe, en lui tranchant la tete, trois pieds de queue de crocodile.

«Le crocodile, ajoute le drole, profondement humilie de cette mutilation, se retourna, arracha le coutelas des mains de monsieur le baron, et l’avala avec tant de fureur, qu’il se le fit passer droit a travers le c?ur, et mourut instantanement.»

Je n’ai pas besoin de vous dire, messieurs, combien je suis peine de l’impudence de ce coquin. Dans le siecle de scepticisme ou nous vivons, les gens qui ne me connaissent point pourraient etre amenes, par suite de ces grossiers mensonges, a revoquer en doute la verite de mes aventures reelles, chose qui lese gravement un homme d’honneur.

CHAPITRE VII Deuxieme aventure de mer.

En l’annee 1776, je m’embarquai a Portsmouth pour l’Amerique du Nord, sur un vaisseau de guerre anglais de premier rang, portant cent canons et quatorze cents hommes d’equipage. Je pourrais vous raconter ici differentes aventures qui m’arriverent en Angleterre, mais je les reserve pour une autre fois. Il en est une cependant que je veux mentionner. J’eus une fois le plaisir de voir passer le roi, se rendant en grande pompe au Parlement, dans sa voiture de gala. Le siege etait occupe par un enorme cocher dans la barbe duquel se trouvaient tres artistement decoupees les armes d’Angleterre, et, avec son fouet, il decrivait dans l’air, de la facon la plus intelligible le chiffre du roi, un G et un R, surmontes d’une couronne royale, et si habilement entrelaces que le meilleur calligraphe aurait eu de la peine a faire mieux.

Dans notre traversee, il ne nous arriva rien d’extraordinaire. Le premier incident eut lieu a environ trois cents milles du fleuve Saint-Laurent: notre vaisseau heurta avec une violence extreme contre quelque chose qui nous sembla etre un rocher.

Cependant, quand nous jetames la sonde, nous ne trouvames pas le fond a cinq cents brasses. Ce qui rendait cet incident encore plus extraordinaire et plus incomprehensible, c’est que nous avions du coup perdu notre gouvernail; notre beaupre etait casse en deux, tous nos mats s’etaient fendus dans la longueur, et deux s’etaient abattus sur le pont. Un pauvre diable de matelot, qui etait occupe dans les agres a serrer la grand-voile, fut enleve a plus de trois lieues du vaisseau avant de tomber a l’eau. Heureusement, pendant ce trajet, il eut la presence d’esprit de saisir au vol la queue d’une grue, ce qui non seulement diminua la rapidite de sa chute, mais encore lui permit de nager jusqu’au vaisseau en se prenant au cou de la bete.

Le choc avait ete si violent que tout l’equipage, qui se trouvait sur le pont, fut lance contre le tillac. J’en eus, du coup, la tete renfoncee dans les epaules, et il fallut plusieurs mois avant qu’elle reprit sa position naturelle. Nous nous trouvions tous dans un etat de stupefaction et de trouble difficile a decrire, lorsque l’apparition d’une enorme baleine qui sommeillait sur la surface de l’ocean vint nous donner l’explication de cet evenement. Le monstre avait trouve mauvais que notre vaisseau l’eut heurte, et s’etait mis a donner de grands coups de queue sur nos bordages; dans sa colere, il avait saisi dans sa bouche la maitresse ancre qui se trouvait, suivant l’usage, suspendue a l’arriere, et l’avait emportee en entrainant notre vaisseau sur un parcours de pres de soixante mille, a raison de dix milles a l’heure.