Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen, стр. 17

Des que nous fumes de retour, j’envoyai, au nom du capitaine, quelques jambons aux lords de l’Amiraute, aux lords de l’Echiquier, au lord-maire et aux aldermen de Londres, aux clubs de commerce, et distribuai le surplus entre mes amis. Je recus de tous cotes les remerciements les plus chaleureux; la Cite me rendit mon amabilite en m’invitant au diner annuel qui se celebre lors de la nomination du lord-maire.

J’envoyai les peaux d’ours a l’imperatrice de Russie pour servir de pelisse d’hiver a Sa Majeste et a sa cour. Elle m’en remercia par une lettre autographe que m’apporta un ambassadeur extraordinaire, et ou elle me priait de venir partager sa couronne avec elle. Mais comme je n’ai jamais eu beaucoup de gout pour la souverainete, je repoussai, dans les termes les plus choisis, l’offre de Sa Majeste. L’ambassadeur qui m’avait apporte la lettre avait l’ordre d’attendre ma reponse pour la rapporter a sa souveraine. Une seconde lettre, que quelque temps apres je recus de l’imperatrice, me convainquit de l’elevation de son esprit et de la violence de sa passion. Sa derniere maladie, qui la surprit au moment ou – pauvre et tendre femme – elle s’entretenait avec le comte Dolgorouki, ne doit etre attribuee qu’a ma cruaute envers elle. Je ne sais pas quel effet je produisis aux dames, mais je dois dire que l’imperatrice de Russie n’est pas la seule de son sexe qui du haut de son trone m’ait offert sa main.

On a repandu le bruit que le capitaine Phipps n’etait pas alle aussi loin vers le Nord qu’il l’aurait pu: il est de mon devoir de le defendre sur ce point. Notre batiment etait en bon chemin d’atteindre le pole, lorsque je le chargeai d’une telle quantite de peaux d’ours et de jambons que c’eut ete folie d’essayer d’aller plus loin; nous n’eussions pas pu naviguer contre le plus leger vent contraire, et moins encore contre les glacons qui encombrent la mer a cette latitude.

Le capitaine a depuis declare bien souvent combien il regrettait de ne pas avoir pris part a cette glorieuse journee, qu’il avait emphatiquement surnommee la journee des peaux d’ours. Il jalouse ma gloire, et cherche par tous les moyens a la deprecier. Nous nous sommes souvent querelles a ce sujet, et aujourd’hui encore nous ne sommes pas dans de tres bons termes. Il pretend, par exemple, qu’il n’y a pas grand merite a avoir trompe les ours en m’affublant de la peau d’un des leurs; et que lui serait alle sans masque au milieu d’eux, et ne s’en serait pas moins fait passer pour un ours.

Mais c’est la un point trop delicat pour qu’un homme qui a des pretentions a la bonne education se risque a en discuter avec un noble pair d’Angleterre.

CHAPITRE XV Neuvieme aventure de mer.

Je fis un autre voyage, d’Angleterre aux Indes orientales, avec le capitaine Hamilton. J’emmenais un chien couchant, qui valait, dans l’acception propre du mot, son pesant d’or, car il ne m’a jamais failli. Un jour que, d’apres les meilleurs calculs, nous nous trouvions a trois cents milles au moins de terre, mon chien tomba en arret. Je le vis, avec etonnement, rester plus d’une heure dans cette position: je fis part de ce fait au capitaine et aux officiers du bord, et leur assurai que nous devions etre pres de terre, vu que mon chien flairait du gibier. J’en obtins qu’un succes de fou rire, qui ne modifia nullement la bonne opinion que j’avais de mon chien.

Apres une longue discussion ou l’on debattit mon avis, je finis par declarer ouvertement au capitaine que j’avais plus de confiance dans le nez de mon Trai que dans les yeux de tous les marins du bord, et je pariai hardiment cent guinees – somme que j’avais destinee a ce voyage – que nous trouverions du gibier avant une demi-heure.

Le capitaine qui etait un excellent homme, se remit a rire de plus belle, et pria M. Crawford, notre chirurgien, de me tater le pouls. L’homme de l’art obeit et declara que j’etais en parfaite sante. Ils se mirent alors a causer a voix basse: je parvins cependant a saisir quelques mots de leur conversation:

«Il n’a pas sa tete a lui, disait le capitaine, je ne peux pas honnetement accepter ce pari.

– Je suis d’un avis entierement contraire, repliquait le chirurgien; le baron n’est nullement derange; il a plus de confiance dans l’odorat de son chien que dans la science de nos officiers, voila tout. En tout cas, il perdra, et il l’aura bien merite.

– Ce n’est pas raisonnable de ma part d’accepter un pareil pari, repetait le capitaine. Toutefois je m’en tirerai a mon honneur en lui rendant son argent apres l’avoir gagne.»

Trai n’avait point bouge pendant cette conversation, ce qui me confirma dans mon opinion. Je proposai une seconde fois le pari, qui fut enfin accepte.

Nous avions a peine prononce le tope la sacramental que des matelots places dans la chaloupe attachee a l’arriere du batiment, et occupes a pecher a la ligne, attraperent un enorme chien de mer, qu’ils amenerent aussitot sur le pont. On commenca a le depecer, et voila qu’on lui trouva dans le ventre six couples de perdrix vivantes!

Les pauvres betes y habitaient depuis si longtemps, qu’une des perdrix etait occupee a couver cinq ?ufs, dont l’un etait en train d’eclore lorsque l’on ouvrit le poisson.

Nous elevames ces jeunes oiseaux avec une portee de petits chats venus au monde quelques minutes auparavant. La mere chatte les cherissait autant que ses enfants, et se desolait chaque fois qu’un des perdreaux s’eloignait trop et tardait a revenir aupres d’elle. Comme dans notre prise il y avait quatre perdrix qui ne cessaient de couver a tour de role, notre table fut fournie de gibier tout le temps du voyage.

Pour recompenser mon brave Trai des cent guinees qu’il m’avait fait gagner, je lui donnai chaque fois les os des perdreaux que nous avions manges, et de temps en temps meme un perdreau tout entier.

CHAPITRE XVI Dixieme aventure de mer, second voyage dans la lune.

Je vous ai deja parle, messieurs, d’un voyage que je fis dans la lune pour retrouver ma hachette d’argent. J’eus une nouvelle occasion d’y retourner, mais d’une facon beaucoup plus agreable, et j’y sejournai assez longtemps pour y faire diverses observations que je vais vous communiquer aussi exactement que ma memoire me le permettra.

Un de mes parents eloignes s’etait mis dans la tete qu’il devait absolument y avoir quelque part un peuple egal en grandeur a celui que Gulliver pretend avoir trouve dans le royaume de Brobdingnag. Il resolut de partir a la recherche de ce peuple, et me pria de l’accompagner. Pour ma part, j’avais toujours considere le recit de Gulliver comme un conte d’enfant, et je ne croyais pas plus a l’existence de Brobdingnag qu’a celle de l’Eldorado; mais comme cet estimable parent m’avait institue son legataire universel, vous comprenez que je lui devais des egards. Nous arrivames heureusement dans la mer du Sud, sans rien rencontrer qui merite d’etre rapporte, si ce n’est cependant quelques hommes et quelques femmes volants qui gambadaient et dansaient le menuet en l’air.

Le dix-huitieme jour apres que nous eumes depasse Otahiti, un ouragan enleva notre batiment a pres de mille lieues au-dessus de la mer, et nous maintint dans cette position pendant assez longtemps. Enfin un vent propice enfla nos voiles et nous emporta avec une rapidite extraordinaire. Nous voyagions depuis six semaines au-dessus des nuages lorsque nous decouvrimes une vaste terre, ronde et brillante, semblable a une ile etincelante. Nous entrames dans un excellent port, nous abordames et trouvames le pays habite. Tout autour de nous, nous voyions des villes, des arbres, des montagnes, des fleuves, des lacs, si bien que nous nous croyions revenus sur la terre que nous avions quittee.